2022 — Rapports 1 à 5 du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada Déclaration d’ouverture du commissaire à l’environnement et au développement durable à la conférence de presse
Bonjour et merci de vous joindre à moi aujourd’hui. Je m’appelle Jerry DeMarco, et je suis le commissaire à l’environnement et au développement durable du Canada. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple Algonquin anishinabé.
Aujourd’hui, j’ai présenté au Parlement 5 rapports sur des programmes qui touchent les efforts du gouvernement fédéral face à la crise climatique. L’automne dernier, j’ai fourni au Parlement un survol de la performance du Canada dans le dossier climatique, et j’ai indiqué que des audits de programmes particuliers suivraient, comme ceux dont je vais parler aujourd’hui. Comme ces programmes sont en cours, mes rapports constituent une sorte de bulletin de mi-parcours qui devraient aider à améliorer les résultats, car le changement climatique ne s’arrête jamais. En auditant ces programmes importants dès leurs débuts, nous voulons apporter aux parlementaires des renseignements pertinents qui pourront être mis à profit en temps utile. Nous ne pouvons pas nous permettre une quatrième décennie d’échecs dans la lutte contre les changements climatiques.
Examinons d’abord la tarification du carbone, un dossier qui relève d’Environnement et de Changement climatique Canada. Comme l’ont reconnu la Cour suprême du Canada et de nombreuses organisations internationales, une tarification efficace de la pollution par le carbone incite les consommateurs et les producteurs à changer leurs comportements, ce qui a pour effet de réduire les émissions globales de gaz à effet de serre, ou GES. Au Canada, la tarification du carbone est donc un levier d’action crucial pour parvenir à une réduction marquée des émissions de GES.
Nous avons constaté que le Ministère avait veillé à ce que des systèmes de tarification du carbone soient mis en place dans toutes les provinces et dans les territoires.
En 2021, le Ministère s’est employé à corriger des faiblesses qui avaient marqué son approche initiale, de sorte que certains systèmes provinciaux de tarification du carbone moins efficaces avaient pu être approuvés. Toutefois, le Ministère n’a pas entièrement corrigé certaines lacunes qui pourraient nuire à l’effort global pour atteindre les cibles de réduction des émissions du Canada.
Par exemple, nous avons constaté que les exigences fédérales imposées aux grands émetteurs continuaient de miner le principe du « pollueur-payeur » en admettant des systèmes moins rigoureux pour les grands émetteurs dans certaines régions du pays. De plus, les collectivités autochtones et certains groupes sociaux demeurent touchés de façon disproportionnée par les systèmes de tarification du carbone.
Il faut continuer d’améliorer l’approche du Canada pour la tarification du carbone afin d’appuyer l’atteinte des cibles nationales de réduction des émissions. Il faut notamment veiller à produire des rapports transparents qui permettront aux Canadiens et aux Canadiennes de mieux comprendre l’efficacité et les répercussions des systèmes de tarification du carbone.
Le Canada s’est engagé à réduire progressivement sa dépendance sur les combustibles fossiles et à favoriser une économie à faibles émissions de carbone pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il s’est aussi engagé à assurer une « transition équitable » pour les collectivités et les travailleuses et travailleurs touchés par ce virage économique. C’est le sujet du deuxième audit publié aujourd’hui.
La combustion du charbon pour produire de l’électricité contribue de façon importante aux émissions de GES. L’élimination progressive du charbon est une première étape du plan du gouvernement pour effectuer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le gouvernement avait désigné Ressources naturelles Canada à titre de ministère responsable de présenter une loi sur la transition équitable en 2019.
En ce qui concerne l’appui à une transition équitable vers une économie à faibles émissions de carbone, le gouvernement n’était pas bien préparé et a été lent à agir. Le Ministère a peu fait pour avancer le dossier avant 2021. Il n’avait pas établi de plan de mise en œuvre pour gérer ce virage économique important, qui touche une diversité de travailleuses et de travailleurs, de collectivités, de régions et de parties prenantes. Nous avons constaté qu’à mesure que le Canada se tourne vers des nouvelles solutions à faibles émissions de carbone, le gouvernement n’est pas prêt à offrir une aide suffisante à plus de 50 collectivités et de 170 000 travailleuses et travailleurs dans le secteur des combustibles fossiles. Si un plan de transition équitable approprié n’est pas en place, les risques seront comparables à ce qui s’est produit lors de l’effondrement de la pêche de la morue du Nord au Canada atlantique dans les années 1990.
En l’absence d’une approche fédérale coordonnée pour soutenir une transition équitable vers une économie à faibles émissions de carbone, les organisations fédérales ont eu recours à des mécanismes existants, comme des programmes d’aide sociale. Ces programmes n’ont pas suffi à assurer une transition équitable pour les travailleuses et travailleurs de l’industrie du charbon et les collectivités qu’ils habitent.
Comme l’élimination progressive du charbon est la première des transitions vers une économie à faibles émissions de carbone auxquelles les travailleuses, les travailleurs, les collectivités et les administrations du pays devront s’adapter, c’est aussi l’occasion pour le gouvernement fédéral de tirer parti des leçons de son expérience initiale pour améliorer les politiques et les programmes futurs. L’avenir exigera des changements beaucoup plus vastes que l’élimination progressive du charbon; il est donc primordial que le Canada rattrape le temps perdu et renforce son approche pour soutenir une transition équitable.
Le troisième rapport publié aujourd’hui porte sur l’hydrogène. À mesure que la place des combustibles fossiles diminue dans le mélange des énergies consommées au Canada, l’attention se tourne vers l’hydrogène à titre de solution plus propre. Si le Canada ne projette pas adéquatement l’incidence de l’hydrogène dans le contexte de la réduction des émissions de GES, la capacité à atteindre les cibles nationales de réduction pourrait souffrir.
Les deux ministères — Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada — souscrivent à l’idée de cette source d’énergie propre, mais ils ont adopté des approches différentes pour évaluer le rôle que l’hydrogène devrait jouer dans l’atteinte des cibles de réduction des émissions.
Environnement et Changement climatique Canada estime que l’hydrogène pourrait amener l’équivalent d’une réduction de 15 mégatonnes de GES d’ici 2030, tandis que Ressources naturelles Canada estime que cette réduction pourrait atteindre jusqu’à 45 mégatonnes sur le même horizon.
Le scénario transformateur de Ressources naturelles Canada reposait sur la mise en œuvre de politiques audacieuses et parfois inexistantes, ainsi que sur l’adoption accélérée de nouvelles technologies. Nous sommes d’avis que les hypothèses de la stratégie fédérale pour l’hydrogène sont trop optimistes et mettent en cause la crédibilité des réductions d’émissions prévues.
Cela est inquiétant car les émissions de GES du Canada ont beaucoup augmenté depuis la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, de sorte que nous sommes le pays le moins performant du Groupe des 7G7 depuis. Comme je l’ai souligné l’automne dernier, le Canada a systématiquement raté ses cibles climatiques en dépit de nombreux plans et engagements. À l’avenir, le Canada a besoin d’avoir des objectifs réalistes, des plans crédibles et, plus important encore, des actions efficaces. Si l’hydrogène doit faire partie des plans du Canada pour réduire les émissions de GES, Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada doivent coordonner leurs approches et améliorer l’efficacité de la modélisation et de la communication en ce qui concerne la voie à suivre pour l’hydrogène.
Le quatrième rapport brosse le portrait de la Stratégie pour un gouvernement vert, lancée par le Secrétariat du Conseil du Trésor en 2017. Les activités du gouvernement fédéral contribuent de manière importante aux émissions de GES au Canada.
Nous avons constaté que le Secrétariat avait pris des mesures initiales pour appuyer les ministères qui s’affairaient à réduire l’empreinte écologique du gouvernement fédéral. Toutefois, 5 ans après le lancement de la Stratégie, les efforts de réduction des émissions n’étaient pas aussi avancés qu’ils l’auraient pu l’être. Ce point est important car le Canada s’est engagé publiquement à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et à devenir un chef de file national et mondial en ce qui concerne le passage à des activités gouvernementales neutres en carbone.
Au moment de l’audit, 8 des 27 ministères avaient établi des plans de réduction qui représentaient 81 % des émissions de source ministérielle. Nous avons examiné les résultats de la Défense nationale, le plus grand émetteur du gouvernement fédéral. Nous avons constaté un manque d’information claire pour associer les efforts du Ministère à l’atteinte de la cible globale de réduction des émissions.
L’audit a aussi montré que des renseignements importants sur l’écologisation du gouvernement étaient difficiles à trouver, manquaient de clarté ou étaient incomplets. Il y avait aussi un manque d’information détaillée sur les coûts et les économies. De plus, les émissions des sociétés d’État étaient exclues de la stratégie.
Dans l’ensemble, à cause de ce manque d'information, il est difficile pour les décideurs, le Parlement et les Canadiennes et les Canadiens de suivre la progression du gouvernement vers la cible fixée pour 2050 et de savoir si le Canada s’établit comme chef de file mondial de l’écologisation des institutions publiques, comme il le souhaite. Il reste du travail à faire pour que la Stratégie pour un gouvernement vert produise les résultats attendus et pour mettre en place des méthodes et des plans exhaustifs qui permettront de suivre la progression des réductions d’émissions et d’en rendre compte.
Notre dernier audit a examiné si des programmes de financement sélectionnés avaient conduit à des investissements dans des infrastructures plus résilientes et inclusives, et ayant une moindre intensité carbonique.
Nous avons constaté qu’Infrastructure Canada avait conçu et mis en œuvre une façon d’évaluer si les projets financés étaient plus résistants aux effets des changements climatiques, comme les inondations et les feux de forêt qui deviennent plus fréquents, et s’ils contribuaient à réduire les émissions de GES. Dans la première version de l’Optique des changements climatiques — soit l’outil d’évaluation que le Ministère a lancé en 2018 —, les gestionnaires de projets d’infrastructure devaient fournir des estimations détaillées des réductions d’émissions prévues en lien avec leurs projets.
Or nous avons constaté que ces exigences avaient été abaissées lorsque l’Optique des changements climatiques a été révisée en 2021. Cela a eu pour conséquence de réduire la capacité du Ministère à calculer la contribution des programmes de financement à l’atteinte des objectifs climatiques du gouvernement et à en rendre compte. La détérioration de la qualité de l’information a été telle qu’Infrastructure Canada n’a pu établir avec exactitude les avantages prévus sur le plan de l’atténuation des changements climatiques et de la résilience des projets qu’il finançait.
Nous avons aussi constaté qu’Infrastructure Canada n’avait pas intégré les engagements du Canada envers les objectifs de développement durable des Nations Unies dans la conception de ses programmes. Le Ministère avait intégré l’analyse comparative entre les sexes plus dans la conception de ses programmes et recueilli des informations à ce sujet auprès des promoteurs de projets, mais il n’avait pas mesuré ni déclaré de manière cohérente les résultats. S’il n’a pas d’informations fiables et complètes sur les avantages et les résultats attendus des projets financés, le gouvernement ne pourra pas déterminer si ses investissements ont contribué à produire des infrastructures résilientes à moindre intensité carbonique ou à atteindre ses engagements d’améliorer la diversité et l’inclusion.
Comme je l’ai mentionné au début de mes remarques, le changement climatique ne s’arrête jamais. Certaines des échéances décisives que le gouvernement s’est fixé approchent. J’ai confiance que les constatations et les recommandations que j’ai présentées aujourd’hui aideront le gouvernement à améliorer ses résultats dans ces secteurs d’une importance cruciale. Comme les changements climatiques sont une crise intergénérationnelle et que la marge d’action rétrécit avec le temps qui passe, il est essentiel que le Canada transforme ses engagements et ses plans en des mesures et des résultats concrets. Notre avenir en dépend.
Merci, je suis prêt à répondre à vos questions.