2023 — Rapports 5 à 9 de la vérificatrice générale du Canada au Parlement du CanadaDéclaration d’ouverture de la vérificatrice générale du Canada à la conférence de presse
Bonjour. Je tiens d’abord à reconnaître que nous sommes réunis à Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Je vous remercie de vous joindre à moi aujourd’hui pour discuter des constatations présentées dans les 5 rapports que mon bureau rendu publics ce matin.
Deux points ressortent de ces rapports pour moi. Le premier concerne les données. La faiblesse ou la sous‑utilisation des données nuit souvent à la capacité des ministères et des organismes de prendre des décisions éclairées, de surveiller les résultats et d’en faire rapport, et d’évaluer l’efficacité de leurs décisions. Au bout du compte, ces angles morts, qui reviennent dans tous les rapports, réduisent la capacité de la fonction publique d’offrir des programmes et des services qui répondent aux besoins des gens.
Deuxièmement, je tiens à souligner l’importance d’agir en temps opportun et les conséquences lorsque cela n’arrive pas. Ce thème revient dans tous les rapports que j’ai présentés aujourd’hui, qu’il s’agisse des progrès limités en ce qui concerne la résistance aux antimicrobiens, que l’Organisation mondiale de la Santé a qualifiée de « pandémie silencieuse » l’an dernier, ou du vieillissement des systèmes informatiques, un problème que le gouvernement reconnaît depuis environ 24 ans. Il est inacceptable que les progrès se mesurent en années, sinon en décennies, tandis que des gens risquent d’arrêter de recevoir les prestations sur lesquelles ils comptent ou qu’ils sont privés des médicaments dont ils ont besoin.
Je vais d’abord parler de notre audit sur la résistance aux antimicrobiens, un sujet que mon bureau a examiné pour la dernière fois en 2015. Lorsqu’il est question de santé publique, la récente pandémie de COVID‑19 a montré que le coût d’une mauvaise préparation se mesure en nombre de vies perdues. C’est pourquoi la résistance aux antimicrobiens est inquiétante. Le taux de résistance aux antibiotiques de première ligne au Canada a été estimé à 26 % en 2018, et on s’attend qu’il atteigne 40 % d’ici 2050.
Nous avons constaté que, dans l’ensemble, le gouvernement fédéral a fait trop peu d’efforts pour contrer ce problème. Même si l’Agence de la santé publique du Canada a publié un plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens en juin 2023, je suis préoccupée par le fait qu’il manque à ce plan des éléments essentiels, comme des résultats attendus substantiels, des échéanciers, des méthodes pour mesurer les progrès, ainsi que des rôles et responsabilités clairement définis pour chaque niveau de gouvernement. Sans ces éléments, il est peu probable que ce plan aboutisse au moindre progrès.
Nous avons constaté que l’Agence de la santé publique et Santé Canada ont été lents à mettre en œuvre des changements, comme des mesures incitatives économiques, qui pourraient améliorer l’accès des Canadiennes et Canadiens aux antibiotiques de dernier recours. Seulement 2 des 13 nouveaux antibiotiques utilisés pour traiter les infections résistantes aux médicaments étaient disponibles au Canada, tandis que les 13 l’étaient aux États‑Unis.
Pour lutter efficacement contre la résistance aux antimicrobiens, le Canada doit avoir un portrait d’ensemble de l'utilisation des antimicrobiens et de la résistance aux antimicrobiens à l’échelle du pays, ainsi qu’un plan robuste pour s’assurer que les bons antimicrobiens soient disponibles en vue d’une utilisation appropriée pour protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens.
Passons maintenant à nos deux prochains audits, qui sont étroitement liés. Le premier a examiné l’approche globale du gouvernement en ce qui concerne la modernisation des systèmes de technologie de l’information. Le deuxième a porté sur un seul programme qui vise à moderniser comment plus de 10 millions de Canadiennes et de Canadiens reçoivent leurs prestations de la Sécurité de la vieillesse, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance‑emploi.
Dans le premier audit, nous avons constaté qu’environ les deux tiers des quelque 7 500 applications logicielles en usage au gouvernement étaient en mauvais état. Ce chiffre comprend 562 applications essentielles pour la santé, la sûreté, la sécurité ou le bien‑être économique de la population canadienne.
Nous avons constaté que plusieurs facteurs avaient contribué à des retards et à l’augmentation des coûts, y compris un manque de surveillance et de leadership centralisés, une pénurie de personnes qualifiées pour exécuter les travaux requis et une approche de financement rigide. Plus ces systèmes tardent à être modernisés, plus il y a un risque qu’ils tombent en panne et que la population canadienne perde l’accès à des services essentiels.
Les constations du second audit, portant sur le programme de Modernisation du versement des prestations, font écho à celles du premier. Les progrès relatifs à la modernisation des systèmes assurant le versement de prestations à la population canadienne ont été entravés par des retards, des augmentations de coûts et des problèmes de dotation. Le programme est à mi‑parcours de son calendrier de 13 ans, et le versement de toutes les prestations est encore assuré au moyen de systèmes vieux de 20 à 60 ans.
Ce second audit illustre aussi que le mécanisme de financement du gouvernement convient mal aux grands projets de technologie de l’informationTI. Lorsque le programme de Modernisation du versement des prestations a été lancé en 2017, Emploi et Développement social Canada avait estimé qu’il coûterait 1,75 milliard de dollars. Le montant a été révisé deux fois depuis, et il a atteint 2,5 milliards de dollars en avril 2022. Il changera probablement encore lorsque d’autres retards et difficultés surviendront. Ces révisions représentent une hausse de 43 % par rapport à 2017, et pourtant aucun programme de prestations n’a encore été migré vers la nouvelle plateforme.
Nous avons constaté qu’Emploi et Développement social Canada avait modifié sa façon de traiter les retards et autres obstacles liés au programme de Modernisation du versement des prestations. Par exemple, le Ministère a fait passer le programme de la Sécurité de la vieillesse — soit le plus vieux des trois systèmes et celui qui risque le plus de tomber en panne — avant celui de l’assurance emploi dans le calendrier de migration.
Bien que la décision d’Emploi et Développement social Canada de procéder d’abord à la migration des systèmes donne à juste titre la priorité au maintien du versement des prestations, je suis préoccupée par le fait que si les difficultés et les retards persistent, il pourrait être décidé d’éliminer certains aspects de la transformation ou de prendre des raccourcis pour respecter les échéanciers ou le budget, comme dans le cas du système de paye Phénix. Le programme de Modernisation du versement des prestations risquerait alors d’aboutir à un produit final qui ne répondrait pas aux besoins de divers groupes de clients vulnérables, notamment les personnes âgées, les personnes vivant dans des régions éloignées, les Autochtones et les personnes réfugiées.
Notre quatrième audit a examiné le traitement des demandes de résidence permanente. Nous avons constaté des retards, des arriérés et des inefficiences qui ont des répercussions sur la vie des personnes qui souhaitent s’établir en permanence au Canada, la plus grande étant l’incidence sur les personnes qui soumettent une demande dans le cadre des programmes pour les réfugiés.
Bien qu’en 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a de façon générale réduit le temps de traitement des demandes et le nombre de dossiers accumulés, le Ministère n’a pas respecté le délai fixé par ses normes de service pour le traitement des demandes dans les huit programmes que nous avons examinés. Les personnes présentant une demande au titre des programmes pour les réfugiés ont attendu le plus longtemps, soit en moyenne trois ans. À la fin de 2022, environ 99 000 personnes réfugiées attendaient encore une décision concernant leur demande et, dans le contexte de traitement actuel, bon nombre de ces personnes attendront pendant des années.
Même si le gouvernement établit la cible du nombre de résidentes et de résidents permanents pouvant être admis au Canada pendant une année donnée, nous avons constaté que la plupart des retards et des arriérés étaient causés par les pratiques de travail du Ministère. À titre d’exemple, le Ministère ne traitait pas toujours les demandes selon l’ordre dans lequel elles étaient reçues, de sorte que les demandes plus anciennes continuaient de s’accumuler, et il ne tenait pas compte de la capacité de ses bureaux lorsqu’il transmettait les demandes à traiter.
De plus, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’avait pas évalué si son outil automatisé d’évaluation de la recevabilité avait réduit le temps de traitement global pour tous les types de demandes comme il le devait. Par ailleurs, le Ministère n’avait pas évalué ni éliminé les écarts non intentionnels dans les résultats pour les personnes qui présentaient une demande.
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada doit analyser son accumulation de demandes pour comprendre les causes profondes des écarts dans les résultats. Le Ministère doit aussi s’assurer que les outils qu’il met en œuvre ne contribuent pas à ces écarts, et il doit faire correspondre les charges de travail avec les ressources disponibles dans ses bureaux afin d’améliorer les temps de traitement.
Notre dernier audit a examiné les mesures prises par 6 organisations fédérales pour favoriser une culture organisationnelle inclusive et corriger les désavantages que connaissent les personnes racisées en milieu de travail.
Nous avons constaté que les 6 organisations avaient toutes établi des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, et avaient pris certaines mesures, mais elles n’avaient pas évalué le progrès quant aux résultats et n’en avaient pas rendu compte de manière exhaustive.
Nous avons aussi constaté que les organisations n’établissaient pas toujours des ententes de rendement avec les cadres, les gestionnaires et les superviseurs en vue d’instaurer une responsabilisation d’appuyer l’inclusion et le changement. Les membres du personnel racisé qui ont participé volontairement à des entrevues dans le cadre de cet audit ont indiqué qu’ils percevaient cet écart et d’autres écarts comme un manque d’engagement véritable à l’égard de l’équité, de la diversité et de l’inclusion.
Même si les 6 organisations que nous avons auditées avaient mis leurs efforts à constituer un effectif représentatif de la société canadienne, il ne s’agit là que de la première étape. Elle ne suffit pas à propulser le changement requis pour créer un milieu de travail réellement inclusif. Pour qu’un réel changement se produise, les ministères doivent mobiliser activement les membres du personnel racisé, ils doivent utiliser de manière significative les données dont ils disposent pour éclairer la prise de décisions, et ils doivent tenir les cadres de direction responsables de concrétiser le changement.
Les enjeux que je soulève aujourd’hui ne sont pas nouveaux. Si la COVID‑19 nous a appris quelque chose, c’est qu’une préparation adéquate et une intervention rapide coûtent moins cher et donnent de meilleurs résultats. Je l’ai dit en mars 2021 et je le répète aujourd’hui : il ne devrait pas falloir qu’une crise éclate pour que le gouvernement saisisse l’importance d’agir promptement.
Je vous remercie de votre attention. Je suis prête à répondre à vos questions.