Gestion des produits chimiques — La sécurité et l’accessibilité des pesticides
Déclaration d’ouverture au comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts
Gestion des produits chimiques — La sécurité et l’accessibilité des pesticides
Le 16 septembre 2014
Julie Gelfand
Commissaire à l’environnement et au développement durable
Merci, Monsieur le Président, de cette invitation à comparaître aujourd’hui devant le Comité. Je suis heureuse d’être avec vous cet après-midi pour discuter de notre rapport de mars 2008 sur la sécurité et l’accessibilité des pesticides. Je suis accompagnée d’Andrew Ferguson.
Permettez-moi d’abord de vous donner un aperçu de notre mandat.
Au nom du vérificateur général du Canada, le commissaire à l’environnement et au développement durable offre aux parlementaires, en toute indépendance, des analyses et des recommandations objectives sur les mesures prises par le gouvernement fédéral pour protéger l’environnement et favoriser le développement durable. Nous nous acquittons de ces responsabilités en vertu de plusieurs lois.
Tout d’abord, en vertu de la Loi sur le vérificateur général, notre bureau effectue des audits de performance et surveille les progrès réalisés par les ministères, à savoir si les activités visant à mettre en œuvre les politiques fédérales en matière d’environnement et de développement durable sont menées de manière efficace et si elles donnent des résultats. Nous gérons aussi le processus de pétitions en matière d’environnement qui permet aux Canadiens d’obtenir directement des ministres fédéraux des réponses sur des questions précises en matière d’environnement et de développement durable qui sont de compétence fédérale.
Selon la Loi fédérale sur le développement durable de 2008 (C-474), notre Bureau effectue des examens et fait des observations sur la Stratégie fédérale de développement durable. De plus, nous surveillons dans quelle mesure les ministères fédéraux contribuent à l’atteinte des cibles et des objectifs prévus dans cette stratégie, et nous faisons rapport à ce sujet.
J’aimerais maintenant vous parler de notre rapport sur la sécurité et l’accessibilité des pesticides, qui a été présenté au Parlement le 6 mars 2008.
Comme vous le savez, les pesticides jouent un rôle prépondérant dans le maintien de l’approvisionnement alimentaire du Canada. Toutefois, comme ils sont conçus de manière à être toxiques, de nombreux pesticides peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine et l’environnement s’ils sont appliqués de manière inappropriée. Ils peuvent entre autres entraîner des troubles respiratoires ou des cancers, ou la mort de poissons et d’oiseaux.
Lors de notre audit, environ 5 000 pesticides étaient homologués au Canada. Selon des informations qui nous ont été communiquées récemment par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, nous croyons comprendre qu’il y a aujourd’hui quelque 7 000 pesticides qui sont homologués au Canada.
Lors de notre audit de 2008, nous avions examiné les progrès réalisés par le gouvernement fédéral, depuis notre audit précédent de 2003, à l’égard de volets choisis de la gestion des pesticides sur le plan de la sécurité et de l’accessibilité. L’audit visait à déterminer si l’Agence avait fait des progrès satisfaisants pour ce qui est :
- d’appliquer systématiquement et uniformément ses politiques et procédures d’évaluation et de réévaluation;
- de permettre l’accès aux nouveaux pesticides, peut-être moins dangereux, dans des délais raisonnables;
- de respecter les cibles qu’elle s’était fixées pour la réévaluation des anciens pesticides.
Nous avons également vérifié si l’Agence canadienne d’inspection des aliments avait réalisé des progrès satisfaisants pour ce qui est d’accroître le nombre de matières actives faisant l’objet d’un dépistage dans les fruits et les légumes frais, dans le cadre de son Programme national de surveillance des résidus chimiques.
Nous avions conclu, en 2008, que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire avait appliqué ses procédures d’évaluation des nouveaux pesticides de manière uniforme et complète et qu’elle avait documenté ses évaluations de façon adéquate. L’Agence veillait à ce que les entreprises demandant l’homologation d’un nouveau pesticide présentent tous les renseignements requis pour évaluer les risques associés à ce pesticide et elle s’assurait que ces renseignements satisfaisaient aux normes de qualité établies.
Monsieur le Président, je crois comprendre que le Comité souhaite obtenir mon point de vue sur la période de validité des homologations temporaires de pesticides. À mon avis, il serait toutefois utile de mettre les choses en contexte. Lors de notre audit de 2008, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire avait indiqué que, pendant l’évaluation d’un pesticide, elle pouvait conclure qu’elle avait besoin d’informations supplémentaires pour confirmer les résultats de son évaluation des risques. Dans ce cas, l’Agence peut accorder une homologation conditionnelle, assortie de mesures de sécurité supplémentaires, qui permet l’utilisation temporaire du pesticide jusqu’à ce que le titulaire du certificat d’homologation lui communique les renseignements supplémentaires demandés. Pendant la période d’homologation « conditionnelle » d’un pesticide, le titulaire du certificat d’homologation doit mener et présenter les études supplémentaires qui sont requises pour confirmer l’évaluation des risques faite par l’Agence.
L’autorisation d’utiliser le pesticide est donc temporaire. L’homologation complète ne peut être accordée que lorsque toutes les informations supplémentaires demandées ont été présentées et que l’Agence les a examinées et acceptées.
Lorsque l’Agence accorde une homologation conditionnelle pour un pesticide, elle émet un avis spécial. Cet avis décrit les informations supplémentaires qui sont demandées. L’Agence, par exemple, a demandé au titulaire du certificat d’homologation conditionnelle du fongicide Quintec de lui fournir des données scientifiques supplémentaires. Selon l’avis spécial publié, l’Agence a demandé des données supplémentaires pour estimer, entre autres, « les incertitudes à l’égard du risque de toxicité chronique du fongicide pour les organismes aquatiques ». L’Agence a notamment demandé des études de la toxicité aiguë pour les abeilles et les prédateurs. Les avis spéciaux peuvent être consultés sur le site Web de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire.
Lors de notre audit de 2008, nous avions constaté que 13 % des nouveaux pesticides homologués durant l’exercice 2006-2007 avaient reçu une homologation conditionnelle. Nous avions aussi recensé neuf pesticides dont l’homologation « temporaire » durait depuis 10 à 20 ans. Nous avions indiqué dans notre rapport que cette période de validité ne pouvait être qualifiée de temporaire. Nous avions conclu avec inquiétude à cette époque que l’Agence n’obtenait pas les informations nécessaires sur les pesticides dans des délais raisonnables. Or ces informations sont essentielles pour confirmer son évaluation des risques pour la santé et l’environnement. L’Agence avait indiqué qu’elle serait vigilante à cet égard et exercerait les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les produits antiparasitaires de manière à limiter la période de validité des homologations conditionnelles.
Nous n’avons pas audité de nouveau ce sujet en vue de déterminer l’état actuel des homologations conditionnelles.
Cependant, selon les renseignements qui nous ont été communiqués récemment par l’Agence, 7 011 pesticides seraient actuellement homologués au Canada, dont 88 qui ont obtenu une homologation conditionnelle. Or l’homologation conditionnelle de 28 de ces 88 produits dure depuis plus de 5 ans, et pour 8 de ces produits, elle dure depuis plus de 10 ans.
Selon moi, ce qui est le plus préoccupant c’est que certains pesticides ayant une homologation temporaire sont utilisés sur de longues périodes pendant que l’Agence attend de recevoir les renseignements qu’elle juge nécessaires pour confirmer qu’ils ne posent pas de risques inacceptables pour la santé et l’environnement. De plus, pendant ce temps, de nouveaux produits qui contiennent les mêmes matières actives peuvent être mis sur le marché, ce qui accroît l’utilisation de produits homologués de manière conditionnelle et la dépendance à leur égard.
Pour terminer, je tiens à ajouter que le gouvernement a un rôle important à jouer dans la protection de l’environnement et de la santé des Canadiens, ainsi qu’en matière de développement durable. Notre Bureau tient beaucoup à améliorer la reddition de comptes en informant le Parlement et la population canadienne sur la qualité de la gestion des questions environnementales par le gouvernement et en recommandant des améliorations. Dans notre rapport de 2008, nous avions indiqué que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire devrait poursuivre ses efforts en vue de réduire le nombre et la durée des homologations conditionnelles. Nous avons noté que le Comité avait formulé une recommandation semblable dans son rapport de juin 2014 sur l’agriculture et l’innovation [4e recommandation, p. 38].
Honorable sénateurs, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du Comité.