Déclaration d’ouverture devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales
Rapports 5 à 9 de 2023 de la vérificatrice générale du Canada
Le 7 février 2024
Karen Hogan, Fellow comptable professionnelle agrééeFCPA
Vérificatrice générale du Canada
Monsieur le Président, je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour discuter de 5 rapports qui ont été déposés au Parlement le 19 octobre 2023. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Je suis accompagnée de Jean Goulet, Markirit Armutlu, Carey Agnew et Erin Jellinek, qui étaient responsables des audits.
Deux points ressortent de ces 5 rapports pour moi, soit les données et l’importance d’agir en temps opportun. Dans tous les rapports, nous avons relevé des cas où les données étaient faibles ou sous‑utilisées et des cas où des mesures n’ont pas été prises rapidement, ce qui a eu une incidence sur la capacité de la fonction publique à répondre aux besoins des Canadiennes et Canadiens.
Je vais d’abord parler de notre audit sur la résistance aux antimicrobiens, un sujet que mon bureau a examiné pour la dernière fois en 2015. Lorsqu’il est question de santé publique, la récente pandémie de COVID‑19 nous a montré que le coût d’une mauvaise préparation se mesure en nombre de vies perdues. C’est pourquoi la résistance aux antimicrobiens est inquiétante. Le taux de résistance aux antibiotiques de première ligne au Canada a été estimé à 26 % en 2018, et on s’attend qu’il atteigne 40 % d’ici 2050.
Nous avons constaté que le gouvernement fédéral a fait trop peu d’efforts pour contrer ce problème. Même si l’Agence de la santé publique du Canada a publié un plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens en juin 2023, il lui manque des éléments essentiels, comme des résultats attendus concrets, des échéanciers et des méthodes pour mesurer les progrès. Sans ces éléments, il est peu probable que ce plan réussisse.
Nous avons aussi constaté que l’Agence de la santé publique et Santé Canada ont été lents à mettre en œuvre des changements, comme des mesures incitatives économiques, qui pourraient améliorer l’accès des Canadiennes et Canadiens aux antibiotiques de dernier recours. Seulement 2 des 13 nouveaux antibiotiques utilisés pour traiter les infections résistantes aux médicaments étaient disponibles au Canada, tandis que les 13 l’étaient aux États‑Unis.
Pour lutter efficacement contre la résistance aux antimicrobiens, le Canada doit avoir un portrait d’ensemble de l'utilisation des antimicrobiens et de la résistance aux antimicrobiens à l’échelle du pays, ainsi qu’un plan robuste.
Passons maintenant à nos deux prochains audits, qui sont étroitement liés. Le premier a examiné l’approche globale du gouvernement en ce qui concerne la modernisation des systèmes de technologie de l’information. Le deuxième a porté sur la modernisation de 3 prestations, soit la Sécurité de la vieillesse, le Régime de pensions du Canada et l’assurance‑emploi.
Dans le premier audit, nous avons constaté qu’environ les deux tiers des quelque 7 500 applications logicielles en usage au gouvernement étaient en mauvais état. Ce chiffre comprend 562 applications essentielles pour la santé, la sûreté, la sécurité ou le bien‑être économique de la population canadienne.
Nous avons constaté que plusieurs facteurs avaient contribué à des retards et à l’augmentation des coûts, y compris un manque de surveillance et de leadership centralisés, une pénurie de personnes qualifiées pour exécuter les travaux requis et une approche de financement rigide. Plus ces systèmes tardent à être modernisés, plus il y a un risque qu’ils tombent en panne et que la population canadienne perde l’accès à des services essentiels.
Notre audit du programme de Modernisation du versement des prestations, fait écho à ces constatations. Les progrès relatifs à la modernisation des trois systèmes assurant le versement de prestations à la population canadienne ont été entravés par des retards, des augmentations de coûts et des problèmes de dotation. Le programme est à mi‑parcours de son calendrier de 13 ans, et le versement de toutes les prestations est encore assuré au moyen de systèmes vieux de 20 à 60 ans.
Cet audit illustre aussi que le mécanisme de financement du gouvernement convient mal aux grands projets de technologie de l’informationTI. Lorsque le Programme a été lancé en 2017, Emploi et Développement social Canada avait estimé qu’il coûterait 1,75 milliard de dollars. Le montant a été révisé deux fois depuis, et il a atteint 2,5 milliards de dollars en avril 2022. Il changera probablement encore lorsque d’autres retards et difficultés surviendront. Ces révisions représentent une hausse de 43 % par rapport à 2017, et pourtant aucune des trois prestations n’a encore été migrée vers la nouvelle plateforme.
Nous avons constaté qu’Emploi et Développement social Canada avait modifié sa façon de traiter les retards et autres obstacles. Par exemple, le Ministère a placé le programme de la Sécurité de la vieillesse en tête de liste de priorité en matière de migration, car il s’agit du plus vieux des 3 systèmes et de celui qui risque le plus de tomber en panne.
Bien que la décision d’Emploi et Développement social Canada de procéder d’abord à la migration des systèmes donne à juste titre la priorité au maintien du versement des prestations, je suis préoccupée par le fait que de nouvelles difficultés et de nouveaux retards pourraient entraîner des raccourcis pour respecter les échéanciers ou le budget et limiter la transformation, comme dans le cas du système de paye Phénix. Cela aboutirait à un produit final qui ne répondrait pas aux besoins des Canadiennes et Canadiens.
Notre prochain audit a examiné le traitement des demandes de résidence permanente. Nous avons constaté des retards, des arriérés et des inefficiences qui ont des répercussions sur la vie des personnes qui souhaitent s’établir en permanence au Canada, la plus grande étant l’incidence sur les personnes qui soumettent une demande dans le cadre des programmes pour les réfugiés.
Bien qu’en 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a de façon générale réduit le temps de traitement des demandes et le nombre de dossiers accumulés, le Ministère n’a pas respecté le délai fixé par ses normes de service pour le traitement des demandes dans les 8 programmes que nous avons examinés. Les personnes présentant une demande au titre des programmes pour les réfugiés ont attendu le plus longtemps, soit en moyenne 3 ans. À la fin de 2022, environ 99 000 personnes réfugiées attendaient encore une décision concernant leur demande et, elles attendront probablement pendant des années.
Nous avons constaté que la plupart des retards et des arriérés étaient causés par les pratiques de travail du Ministère. À titre d’exemple, le Ministère ne traitait pas toujours les demandes selon l’ordre dans lequel elles étaient reçues, de sorte que les demandes plus anciennes continuaient de s’accumuler, et il ne tenait pas compte de la capacité de ses bureaux lorsqu’il transmettait les demandes à traiter.
De plus, le Ministère n’avait pas évalué si son outil automatisé d’évaluation de la recevabilité avait réduit le temps de traitement. Il n’avait pas non plus évalué ni éliminé les écarts non intentionnels dans les résultats.
Le Ministère doit analyser son accumulation de demandes pour comprendre les causes profondes des écarts dans les résultats. Il doit aussi s’assurer que les outils qu’il met en œuvre ne contribuent pas à ces écarts, et il doit faire correspondre les charges de travail avec les ressources afin d’améliorer les temps de traitement.
Notre dernier audit a examiné les mesures prises par 6 organisations fédérales pour favoriser une culture organisationnelle inclusive et corriger les désavantages que connaissent les personnes racisées en milieu de travail.
Nous avons constaté que les 6 organisations avaient toutes établi des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, mais qu’aucune d’entre elles ne mesurait ou ne rendait compte de manière exhaustive des progrès accomplis par rapport aux résultats attendus.
Même si les 6 organisations que nous avons auditées avaient mis leurs efforts à constituer un effectif représentatif de la société canadienne, il ne s’agit là que de la première étape. Elle ne suffit pas à propulser le changement requis pour créer un milieu de travail réellement inclusif. Pour qu’un réel changement se produise, les ministères doivent mobiliser activement les membres du personnel racisé, ils doivent utiliser les données dont ils disposent pour éclairer la prise de décisions, et ils doivent tenir les cadres de direction responsables de concrétiser le changement.
Les enjeux que je soulève aujourd’hui ne sont pas nouveaux. Si la COVID‑19 nous a appris quelque chose, c’est qu’une préparation adéquate et une intervention rapide coûtent moins cher et donnent de meilleurs résultats. Je l’ai dit en mars 2021 et je le répète aujourd’hui : il ne devrait pas falloir qu’une crise éclate pour que le gouvernement saisisse l’importance d’agir promptement.
Monsieur le Président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture. Nous serions heureux de répondre aux questions des membres du Comité. Merci.