Dialogue de nation à nation : relations fiscales intergouvernementales
Dialogue de nation à nation : relations fiscales intergouvernementales
Notes pour un discours de Michael Ferguson, Comptable professionnel agrééCPA, Comptable agrééCA, Fellow comptable professionnel agrééFCPA, Fellow comptable agrééFCA (Nouveau-Brunswick), Vérificateur général du Canada, le 5 juin 2017
Les huit facteurs essentiels à la réussite des programmes fédéraux destinés aux Autochtones
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour vous parler un peu des audits des programmes fédéraux destinés aux peuples autochtones que nous effectuons au Bureau du vérificateur général du Canada.
Permettez-moi d’abord de vous dire que je suis un auditeur. Je ne voudrais donc pas faire croire par mes remarques d’aujourd’hui que je suis une sorte d’expert de la question autochtone, car je ne le suis pas.
Ce matin, je veux simplement vous faire connaître les huit facteurs qui, selon moi, sont essentiels pour assurer le succès des programmes fédéraux destinés aux Autochtones.
Les audits que nous avons réalisés ces 20 dernières années sur les programmes fédéraux destinés aux peuples autochtones ont fait ressortir ces huit facteurs.
Lorsque je donnerai des exemples tirés de nos audits pour prouver que ces huit facteurs sont essentiels, vous pourrez sans doute ressentir ma frustration. De fait, je suis exaspéré par la lenteur de l’évolution des programmes fédéraux destinés aux Autochtones, et ce, même si le Bureau a plusieurs fois signalé ces problèmes au Parlement au cours des 20 dernières années — si ce n’est davantage.
Avant d’aborder les huit facteurs et les résultats de nos audits, j’aimerais vous parler un peu de notre bureau.
Au Canada, le vérificateur général est nommé pour un mandat de dix ans, qui ne peut être reconduit. Sa nomination est faite par le gouverneur en conseil, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes, et après approbation par résolution des deux chambres.
Le vérificateur général fait rapport directement au Parlement, non à un ministre ou au Premier Ministre.
Le vérificateur général ne peut être révoqué pour un motif valable que par le gouverneur en conseil, sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.
Les méthodes de travail du Bureau du vérificateur général du Canada visent à garantir son indépendance, son objectivité et son impartialité.
Le Bureau a trois grandes missions. Nous auditons les états financiers du gouvernement du Canada et ceux de près de 100 autres organisations fédérales. Nous réalisons aussi des examens spéciaux des systèmes de contrôle de chacune des sociétés d’État fédérales au moins une fois tous les dix ans.
Et nous effectuons des audits de performance.
De fait, nous sommes surtout connus pour nos audits de performance : ce sont ces travaux qui retiennent l’attention des parlementaires et du public.
Lorsque nous réalisons un audit de performance, nous examinons un programme géré par un ministère ou un organisme fédéral, et nous donnons notre opinion, à savoir si le ministère a mis en œuvre le programme avec efficience et dans un souci d’économie.
Les résultats de certains de nos audits de performance sont communiqués dans des rapports préparés par le commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable, poste qui a été créé au sein de notre bureau. C’est donc dire que tous les rapports d’audit du commissaire sont établis avec les mêmes normes de rigueur que pour nos autres rapports d’audit.
Les provinces ont leurs propres vérificateurs généraux, qui relèvent des assemblées législatives provinciales, mais ce n’est pas le cas des territoires. Le Bureau est donc aussi le vérificateur général de chacun des territoires du pays.
Nous auditons les états financiers des gouvernements territoriaux et de leurs sociétés d’État. Nous essayons aussi de réaliser au moins un audit de performance dans chacun des territoires par année. Ces audits portent sur la prestation de programmes par les gouvernements des territoires.
Nous présentons les rapports de ces audits de performance directement aux assemblées législatives des territoires.
Le Bureau intervient aussi sur la scène internationale. Jusqu’à récemment, nous auditions l’Organisation internationale du Travail, un organisme des Nations Unies. Par ailleurs, nous auditons actuellement INTERPOL.
Le Bureau compte environ 570 employés, qui travaillent à l’administration centrale à Ottawa et dans nos quatre bureaux régionaux à Vancouver, Edmonton, Montréal et Halifax.
Je suis vérificateur général du Canada depuis un peu plus de cinq ans. Comme je l’ai déjà dit, le Bureau a eu l’occasion d’examiner durant cette période un certain nombre de programmes fédéraux qui intéressent particulièrement les Autochtones.
Dernièrement, en mai, nous avons présenté un rapport sur les infrastructures de l’aviation civile dans le Nord, un des programmes de Transports Canada.
En 2016, nous avons publié deux rapports : l’un sur la gestion du processus des revendications particulières des Premières Nations par Affaires autochtones et du Nord Canada, et l’autre sur la manière dont Service correctionnel Canada préparait les détenus autochtones à la mise en liberté.
En 2015, nous avons publié trois rapports : l’un sur la création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, un autre sur la mise en œuvre de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, et un dernier sur l’accès aux services de santé pour les communautés éloignées des Premières Nations.
En 2014, nous avons publié deux rapports : l’un sur la prestation du programme Nutrition Nord Canada par l’ancien ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, et l’autre sur le Programme des services de police des Premières Nations de Sécurité publique Canada.
En 2013, nous avons publié un rapport sur la gestion des urgences dans les réserves.
Nous sommes actuellement en train d’auditer les programmes de santé bucco-dentaire des Premières Nations et des Inuit. Notre rapport sera présenté à l’automne.
Comme je l’ai dit, ce qui ressort pour moi de nos audits des programmes fédéraux destinés aux Autochtones, c’est un sentiment de frustration.
J’estime que la lenteur des améliorations apportées par les ministères fédéraux est telle que ces améliorations sont à peine perceptibles. Je pense que nos travaux, même s’ils sont minutieux, appréciés et éloquents, n’ont pas suscité chez la classe politique un sentiment d’urgence suffisant pour la pousser à accélérer le rythme des changements dans l’intérêt des personnes touchées par les effets de ces programmes.
Cela me décourage tout particulièrement parce que, dans de nombreux cas, nous avons constaté que les résultats des programmes allaient de « mauvais » à « lamentables ».
Je commence donc la présentation des huit facteurs qui sont essentiels à la réussite des programmes fédéraux destinés aux Autochtones en reprenant le message contenu dans un rapport d’audit publié en 2011, avant mon entrée en fonction.
Ce message résumait une décennie d’audits de programmes fédéraux destinés aux Autochtones qui avaient été réalisés sous la direction de ma prédécesseure, Sheila Fraser.
Le message de 2011 décrivait quatre obstacles structurels qui, selon le Bureau, nuisaient gravement à la prestation des services publics destinés aux Premières Nations et entravaient l’amélioration de la qualité de vie dans les réserves.
Ces quatre obstacles sont mentionnés dans le document de travail de l’Institut sur la gouvernance intitulé Characteristics of a Nation-to-Nation Relationship (« Les caractéristiques d’une relation de nation à nation » [traduction]).
Les quatre obstacles sont les suivants :
- le manque de clarté entourant les niveaux de services que doit offrir le gouvernement fédéral aux Premières Nations;
- l’absence de fondement législatif;
- l’absence d’un mécanisme de financement approprié;
- la pénurie d’organisations à même d’offrir des services à l’échelle locale.
Nous sommes maintenant en 2017 et, selon les travaux que nous avons menés depuis la publication de ce rapport en 2011, les quatre obstacles que nous avions recensés sont toujours là.
Même si je tiens à vous présenter les huit facteurs essentiels à la réussite des programmes fédéraux destinés aux Autochtones, je vais le faire en utilisant chacun des quatre obstacles structurels relevés en 2011.
Je vous rappelle que mon point de vue sur cette question est celui d’un auditeur qui examine la prestation des programmes.
Les huit facteurs qui sont, à mon avis, essentiels à la réussite des programmes fédéraux destinés aux Autochtones sont les suivants :
Premièrement, une volonté politique soutenue.
Deuxièmement, ce que l’Institut sur la gouvernance appelle dans son document de travail le regroupement, c’est-à-dire une démarche d’union.
Troisièmement, de vraies consultations en bonne et due forme sur les besoins des bénéficiaires, le niveau des services et les mécanismes de prestation des services.
Quatrièmement, des énoncés clairs sur les niveaux de services devant être assurés.
Cinquièmement, un fondement législatif approprié qui appuie le niveau de services visé.
Sixièmement, des organisations locales, dotées de structures de gouvernance appropriées, qui sont à même d’assurer la prestation des services et de rendre des comptes aux Autochtones bénéficiant de ces services.
Septièmement, un financement permanent et approprié pour assurer la prestation des services.
Enfin, huitièmement, un suivi du gouvernement fédéral pour contrôler le respect de ses engagements.
Pour que les programmes connaissent un réel succès, il faut que tous ces facteurs coexistent au sein d’un système d’apprentissage et d’amélioration centré sur les services offerts aux Autochtones.
Je vais maintenant examiner les huit facteurs un à un.
Le premier facteur est la volonté politique soutenue.
Je vais me contenter de survoler ce facteur, car il s’agit d’un terrain miné pour un vérificateur général.
Je dirai simplement que dans notre rapport de 2015 sur la création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, nous avons indiqué que l’engagement soutenu des principaux dirigeants pendant près de dix ans avait favorisé l’instauration d’un climat de confiance et de respect. Ces dirigeants représentaient les Premières Nations de la Colombie-Britannique, le gouvernement du Canada et le gouvernement de la province. Ce climat a permis aux parties de négocier l’approche à adopter pour transférer les responsabilités relatives aux programmes et aux services de santé aux Premières Nations de la Colombie-Britannique.
Je vais mentionner ce rapport de 2015 plusieurs fois ce matin, mais je tiens à ce que vous sachiez que nous n’avons pas audité l’efficacité du fonctionnement de la Régie. Nous avons seulement examiné comment les parties avaient réussi à surmonter les quatre obstacles relevés en 2011 pour créer la Régie.
Je tiens aussi à ajouter que pour que la volonté politique soit soutenue, il doit y avoir quelques succès en cours de route.
Le deuxième facteur est le regroupement.
Selon moi, pour créer une relation de nation à nation, il faut, dans un premier temps, voir s’il est possible de délaisser le modèle actuel de fractionnement des interlocuteurs qui existe des deux côtés de la table. D’une part, il y a plus de 600 Premières Nations, d’autres groupes autochtones et des organisations qui représentent les populations autochtones. D’autre part, il y a une multitude de ministères fédéraux sans orientation commune, et les provinces qui, ne l’oublions pas, participent elles aussi à la prestation des programmes destinés aux Autochtones.
Dans notre rapport de 2015 sur la création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, nous avons aussi indiqué que les Premières Nations de toute la province avaient, en 2005, convenu qu’il serait préférable de s’unir pour négocier avec les autres ordres de gouvernement plutôt que de négocier séparément.
Les trois organisations politiques des Premières Nations de la Colombie-Britannique, à savoir l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, le Sommet des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations, ont donc formé le Conseil des leaders des Premières Nations. Le Conseil est devenu le seul interlocuteur pour négocier avec les gouvernements fédéral et provincial. Ceux-ci ont donc pu négocier directement avec le Conseil, au lieu d’avoir à négocier individuellement avec plus de 200 Premières Nations dans toute la province.
Je ne peux malheureusement pas vous citer en exemple de ministère fédéral désignant un interlocuteur unique pour faciliter les discussions sur les préoccupations des Premières Nations au sujet d’un programme que ce ministère finance ou met en œuvre.
Le troisième facteur susceptible d’améliorer les services est la tenue de vraies consultations.
De nombreuses personnes en savent bien plus que moi sur les consultations et l’obligation de consultation. Il s’agit cependant d’un point qui revient souvent dans nos audits.
Les bonnes nouvelles d’abord : dans notre audit de 2016 sur la préparation des détenus autochtones à la mise en liberté, nous avons indiqué que Service correctionnel Canada avait tenu de vastes consultations avec des membres des collectivités autochtones et des experts du domaine correctionnel pour veiller à ce que ses programmes destinés aux détenus autochtones soient efficaces et culturellement pertinents.
Les bonnes nouvelles s’arrêtent ici. Malheureusement, Service correctionnel Canada n’a pas offert les programmes suffisamment tôt aux détenus autochtones pour leur permettre de se préparer à une libération conditionnelle.
Les autres exemples de consultation qui suivent ne sont pas bons.
Dans notre rapport d’audit de 2016 sur le processus des revendications particulières des Premières Nations, nous avons indiqué que le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada avait élaboré un processus distinct pour le règlement des revendications de faible valeur sans l’apport des Premières Nations.
Comme il n’avait pas consulté les Premières Nations, le Ministère a créé des obstacles au processus de règlement des revendications plutôt que d’en supprimer.
Ainsi :
- Le Ministère a déterminé lui-même si une revendication devait être classifiée comme une revendication de faible valeur.
- Le Ministère a décidé lui-même qu’un plan de négociation ne serait pas préparé conjointement pour les revendications de faible valeur. Le processus n’exigeait pas de discussion ni d’entente avec les Premières Nations concernant les modalités de négociation pour une revendication.
- Le Ministère a déterminé lui-même le montant de l’indemnisation.
- Le Ministère a aussi décidé lui-même que les analyses pouvant aider à déterminer la valeur de la revendication devraient être menées seulement dans des circonstances exceptionnelles.
- Le Ministère n’a pas communiqué aux Premières Nations l’information qu’il avait utilisée pour préparer les offres.
- La lettre du Ministère dans laquelle il énonçait son offre d’indemnisation aux requérants des Premières Nations pour les revendications de faible valeur ne contenait pas d’invitation à discuter ou à négocier le montant de l’indemnisation — il s’agissait d’offres « à prendre ou à laisser ».
Dans un autre audit mené en 2014 sur le Programme des services de police des Premières Nations, nous avons indiqué que les principes de la Politique sur la police des Premières nations précisaient que les Premières Nations devraient participer à la négociation des ententes de services de police afin qu’elles puissent donner leur point de vue sur le modèle de services policiers adapté à leurs collectivités.
Par ailleurs, Sécurité publique Canada a tenu une série de séances d’échange avec les communautés en 2010 dans le cadre de l’examen complet du Programme.
Au cours des séances, les participants ont observé que les négociations des ententes en matière de services de police n’étaient pas de « véritables négociations ». Les communautés ont fait savoir à Sécurité publique Canada qu’on leur présentait généralement une entente définitive et qu’on leur disait qu’elles ne recevraient pas de financement pour les services de police si elles ne la signaient pas.
Nous nous sommes donc penchés sur la question. Nous n’avons trouvé aucune preuve que Sécurité publique Canada avait recueilli les points de vue des Premières Nations pour sept des neuf ententes sur les services de police que nous avons examinées.
Une des ententes que nous avons examinées contenait une clause précise qui obligeait les parties à entamer les négociations de bonne foi un an avant la date d’échéance de l’entente et à s’efforcer de les terminer dans un délai de six mois.
Cette approche n’a cependant pas été adoptée pour reconduire l’entente.
De fait, moins de quatre semaines avant l’échéance de l’entente, Sécurité publique Canada a avisé l’organisation signataire des Premières Nations que les gouvernements fédéral et provincial avaient négocié un prolongement de ladite entente et qu’elle devait signer l’entente prolongée, ce qui constitue une autre offre « à prendre ou à laisser ».
De plus, nous avons constaté que les signataires de 30 ententes sur les services de police avaient eu moins d’un mois d’avis pour négocier des ententes qui venaient à échéance le 31 mars 2013.
Nous venons de voir les facteurs que sont la volonté politique, le regroupement et les consultations.
Le quatrième facteur propice à l’amélioration des services est la nécessité d’énoncer clairement les niveaux de services devant être assurés.
Le manque de clarté au sujet des niveaux de services a été l’un des obstacles que nous avons relevés en 2011.
Le gouvernement fédéral appuie de nombreux services dans les réserves que les gouvernements provinciaux et locaux assurent en dehors des réserves. Cependant, le type et le niveau de ces services ne sont pas clairement définis. Et si le gouvernement fédéral lie ces services à un objectif, il ne mesure pas les résultats relatifs à la réalisation de cet objectif.
En 2015, nous avons signalé ce problème dans notre rapport d’audit sur l’accès aux services de santé pour les communautés éloignées des Premières Nations. Nous avons alors constaté que Santé Canada n’avait pas comparé l’accès aux services de santé dans les communautés éloignées des Premières Nations à celui d’autres communautés éloignées. Le Ministère n’avait pas atteint son objectif de garantir aux communautés éloignées des Premières Nations un accès aux services de soins cliniques et aux clients comparable à celui offert aux autres résidents de la province vivant dans des emplacements géographiques similaires.
Voilà un exemple illustrant un problème fréquent dans les programmes fédéraux, l’inaction d’un ministère. Dans ce cas précis, le Ministère n’a pas déterminé si le niveau de services était comparable, même s’il avait un objectif expressément énoncé, à savoir que les personnes des communautés éloignées des Premières Nations aient un accès aux services de soins de santé comparable.
S’il s’agissait de l’objectif de Santé Canada, le Ministère aurait dû prendre des mesures pour comparer le niveau de services.
Ainsi, il n’est pas toujours facile de déterminer si le gouvernement fédéral est prêt à offrir dans les réserves des services de même étendue et de même qualité que ceux offerts en dehors des réserves par les gouvernements provinciaux et locaux.
Pour aplanir cet obstacle, il faudrait que le gouvernement fédéral énonce clairement le niveau de services qu’il a l’intention de fournir aux Premières Nations et la manière dont il en surveillera la comparabilité de ces services.
Le gouvernement serait aussi mieux à même d’estimer le coût de prestation des services.
Le cinquième facteur propice à l’amélioration des services est l’établissement d’un fondement législatif approprié qui appuie le niveau de services visé.
L’absence d’un fondement législatif est un autre obstacle que nous avons relevé en 2011.
Les lois provinciales sont claires au sujet des services que les provinces doivent fournir aux personnes qui y vivent.
Un fondement législatif constitue un engagement sans équivoque du gouvernement à assurer certains services; il permet aussi de définir le financement et les obligations redditionnelles.
Le gouvernement fédéral a souvent élaboré des programmes d’aide aux Premières Nations sans leur donner de fondement législatif.
En 2011, nous avons affirmé que pour les membres des Premières Nations qui vivaient dans les réserves, cela signifiait qu’il n’y avait pas de fondement législatif encadrant les programmes dans des domaines importants comme l’éducation, la santé et l’approvisionnement en eau potable.
Lorsque les programmes et les services qu’offre le gouvernement fédéral aux Premières Nations s’appuient uniquement sur des politiques et non sur des lois, il y a confusion quant à la responsabilité du gouvernement fédéral en matière de financement de ces programmes et de ces services, à savoir s’il les finance suffisamment.
Dans notre rapport de 2014 sur le Programme des services de police des Premières Nations, nous avons de nouveau mentionné le problème de l’absence d’un fondement législatif approprié pour les programmes fédéraux destinés aux Autochtones.
Le problème persistait, même si l’un des principes clés de la Politique sur la police des Premières nations de Sécurité publique Canada était, et je cite, « Les accords sur les services de police des Premières nations devraient être élaborés au sein d’un cadre juridique qui permette aux Premières nations d’instituer, d’administrer et de réglementer leurs services de police et de nommer leurs agents de police conformément aux normes et aux usages existant dans la province ».
Nous avons constaté que les ententes de services de police en Alberta et au Manitoba que nous avons examinées exigeaient clairement que les services de police financés par le Programme des services de police des Premières nations soient livrés conformément aux dispositions législatives et aux normes de la province.
Cependant, nous avons constaté que les deux ententes de l’Ontario que nous avons examinées n’exigeaient pas clairement que les services de police autogérés fournis aux Premières Nations soient absolument conformes aux dispositions législatives et aux normes de la province.
Les ententes n’exigeaient pas, par exemple, que les agents suivent des cours après leur entrée en poste, ce qu’exigeaient les normes provinciales.
De plus, la Loi sur les services policiers de l’Ontario exige le respect des normes provinciales en matière d’infrastructure, notamment sur les dispositifs de communication et les installations de services de police, mais les ententes sur les services de police en Ontario que nous avons examinées n’exigeaient pas de se conformer à ces normes.
Ce point est important parce qu’une infrastructure de services de police de qualité inférieure pose un problème de sécurité.
Le sixième facteur propice à l’amélioration des services est la présence d’organisations locales, dotées de structures de gouvernance appropriées, qui sont à même d’assurer la prestation des services et de rendre des comptes aux Autochtones bénéficiant de ces services.
La pénurie d’organisations à même de rendre des services à l’échelle locale est l’un des obstacles que nous avions relevés en 2011.
Au fil des décennies, les provinces ont mis sur pied diverses organisations et structures pour appuyer la mise en œuvre des programmes et services dans les collectivités locales. Par exemple, les provinces ont des commissions scolaires, des conseils de santé et des organismes de services sociaux.
En 2011, nous avons dit qu’il y avait peu d’organismes semblables pour veiller à la prestation des services dans les communautés des Premières Nations.
Le gouvernement fédéral a accordé à chacune des Premières Nations le statut d’entité autonome et il finance chaque entité séparément. Par manque d’expertise, un bon nombre des quelque 600 Premières Nations au Canada répondent difficilement aux exigences administratives liées à la prestation des programmes clés dans leurs réserves.
Cependant, même lorsque des organisations locales de prestation des services existent, leur succès dépend de la présence de structures de gouvernance appropriées.
Le document de travail intitulé The Characteristics of a Nation-to-Nation Relationship reprend les paroles de Stephen Cornell, du Harvard Project, qui a dit qu’au terme de la lutte pour l’autodétermination, les gagnants se voient remettre un prix : le défi de la gouvernance.
Dans notre rapport de 2015 sur la création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, nous avons montré qu’en créant cette organisation, les parties avaient pu surmonter les quatre obstacles recensés en 2011 et qui nuisaient à la mise en place d’une organisation de prestation de services de santé. Toutefois, nous avons constaté qu’il y avait des problèmes dans le cadre de gouvernance de la Régie.
Certaines des politiques de la Régie, par exemple sur les conflits d’intérêts, le recrutement, la sécurité du personnel, les enquêtes administratives, l’information financière et les informations fournies à cet égard, et la réinstallation des employés, n’étaient pas assez rigoureuses; et la Régie ne se conformait pas entièrement à certaines de ses propres politiques.
Une fois que les organisations locales de prestation de services sont créées, un système de gouvernance bien conçu, mis en œuvre et opérationnel, assurant la transparence et la reddition de comptes aux Autochtones, s’avère essentiel à leur succès à long terme.
Le septième facteur propice à l’amélioration des services est un financement approprié et permanent pour la prestation des services.
L’absence d’un mécanisme de financement approprié était l’un des obstacles que nous avons recensés en 2011.
En 2011, nous avons indiqué que le gouvernement fédéral utilisait des accords de contribution pour financer les services dans les réserves des Premières Nations. À notre avis, cette façon de faire causait plusieurs problèmes. Nous avions remarqué que la plupart des accords de contribution devaient être renouvelés annuellement et nous avions souligné qu’il fallait parfois plusieurs mois avant que les fonds deviennent disponibles pour une période visée par le financement. Cela s’expliquait en partie du fait que les nouveaux accords ne pouvaient être conclus tant que les ministères n’avaient pas examiné la documentation et confirmé que les fonds octroyés pour la période précédente avaient été utilisés à bon escient. Par conséquent, les Premières Nations devaient réaffecter des fonds d’autres sources pour pouvoir continuer de répondre aux besoins de leurs communautés pour assurer certains services tels que les soins de santé et l’éducation.
Nous avons aussi indiqué que l’utilisation d’accords de contribution entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations empêchait une reddition de comptes appropriée aux membres des Premières Nations.
Cependant, je crois qu’il est important de se rendre compte que, même si l’approche des ententes de contribution est fragmentaire et problématique, des ententes globales de financement comportent aussi leur lot de problèmes.
Passer d’une approche fondée sur les accords de contribution à une approche plus globale n’est pas simple. Ce n’est pas le mécanisme de financement en soi qui crée le problème. La difficulté est de s’assurer que le financement accordé est à la hauteur des services à fournir et qu’il est permanent.
Revenons, par exemple, à notre audit de 2015 sur la mise en œuvre de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador.
Cet accord sur les revendications territoriales globales a été signé en 2005 par les Inuit du Labrador et les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve-et-Labrador. Il a permis de régler les questions concernant les droits de propriété des terres et des ressources, et de préciser un cadre de relations continues entre les trois parties signataires ainsi que leurs obligations respectives.
Cet accord était accompagné d’un accord de financement budgétaire de cinq ans assurant une aide financière au gouvernement nunatsiavut. Cependant, même si l’accord imposait des responsabilités en matière de logement au gouvernement nunatsiavut, ce dernier n’avait reçu qu’une partie des fonds nécessaires pour le logement à même l’accord de financement budgétaire et d’autres sources de financement ponctuel.
L’absence de programme fédéral pour le logement des Inuit au sud du 60e parallèle a nui à la capacité du gouvernement nunatsiavut de s’acquitter des responsabilités en matière de logement qu’il s’était vu confier en signant l’accord de financement budgétaire.
La prestation des services et la reddition de comptes appropriée se trouveraient améliorées avec une certitude de financement.
Le huitième et dernier facteur propice à l’amélioration des services est le suivi exercé par le gouvernement fédéral quant au respect de ses engagements.
Un problème courant que nous observons dans de nombreux programmes gouvernementaux, et pas seulement dans les programmes de services aux Autochtones, est la difficulté de déterminer si les programmes produisent ce qu’ils sont censés produire.
Dans les faits, nous constatons dans de nombreux cas que l’évaluation des résultats est basée sur ce qui se mesure facilement plutôt que sur ce qu’il est important de mesurer.
La stratégie d’évaluation du programme Nutrition Nord Canada en est un exemple.
Dans notre audit de 2014 de ce programme, nous avons constaté que la stratégie d’évaluation de l’ancien ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada établissait des indicateurs de rendement tels que le poids des aliments expédiés et le coût du Panier de provisions nordique révisé, mais qu’il n’y avait aucun indicateur pour déterminer si l’intégralité des contributions était transférée aux consommateurs.
Nous avons constaté que le Ministère indiquait par exemple que 25,6 millions de kilos de nourriture avaient été subventionnés au cours de l’exercice 2012-2013 et que le coût du Panier de provisions nordique révisé avait fluctué. Cependant, cette information ne permettait pas au Ministère de savoir si l’intégralité des contributions était passée aux consommateurs, parce que le coût du Panier de provisions couvrait des articles subventionnés et non subventionnés. De plus, le coût du panier de provisions pouvait fluctuer pour des raisons n’ayant rien à voir avec les subventions.
Le Ministère mesurait donc ce qu’il était facile de mesurer, comme la quantité de nourriture expédiée, mais il ne mesurait pas ce qu’il était important de mesurer, à savoir par exemple si la nourriture se rendait aux bénéficiaires du programme et quel était l’effet du programme sur le prix des aliments subventionnés.
Ce sont là les huit facteurs qui sont ressortis de nos audits. Récapitulons :
Premièrement, une volonté politique soutenue.
Deuxièmement, le regroupement.
Troisièmement, de vraies consultations.
Quatrièmement, des énoncés clairs sur les niveaux de services devant être assurés.
Cinquièmement, un fondement législatif.
Sixièmement, des organisations locales à même d’assurer la prestation des services.
Septièmement, un financement permanent.
Enfin, huitièmement, un suivi.
Je suis conscient que je vous ai transmis beaucoup d’information ce matin et que j’ai fait référence à beaucoup de constatations tirées de beaucoup d’audits, ce qui, je crois, illustre bien l’étendue de notre travail dans ce domaine. J’ai certainement passé trop rapidement sur certaines de nos constatations; alors si vous voulez en savoir davantage, veuillez consulter les rapports d’audit qui sont sur notre site Web.
Pour résumer, nous disions en 2011 qu’il fallait apporter des changements si nous voulions voir s’opérer des progrès décisifs.
Nous avions indiqué que malgré les nombreux efforts du gouvernement fédéral pour mettre en œuvre nos recommandations sur les programmes destinés aux Premières Nations, nous avions noté que la vie et le bien-être des personnes vivant dans les réserves ne s’étaient guère améliorés.
Les conditions de vie dans les réserves restaient médiocres.
Nous avions aussi indiqué qu’il fallait mettre davantage l’accent sur les résultats.
Comme je l’ai dit plus tôt dans mes remarques, nous sommes maintenant en 2017, et non en 2011, et l’approche du gouvernement fédéral par rapport aux programmes destinés aux Autochtones continue de me causer de la frustration.
Mais il est aussi important que tout le monde comprenne que mon mandat est d’auditer les programmes du gouvernement fédéral et c’est ce qui explique que mes remarques soient si dures à l’endroit du gouvernement.
J’ignore les problèmes qui existent du côté des Autochtones parce que le Bureau n’audite pas les organisations autochtones.
En 2011, nous avons conclu en disant que le gouvernement fédéral et les Premières Nations se devaient d’être à la hauteur du défi à relever; sinon les conditions de vie allaient continuer de se dégrader dans les réserves des Premières Nations beaucoup plus que dans le reste du Canada pour des générations à venir.
Dans un message du vérificateur général que j’ai publié en 2016, je déplorais le fait que nos audits révèlent les mêmes problèmes encore et encore et que lorsque nous retournons auditer le même secteur, nous constatons souvent que les résultats des programmes ne se sont pas améliorés.
Après une centaine d’audits de performance et d’examens spéciaux réalisés depuis mon entrée en fonction il y a cinq ans, les résultats de certains audits me laissent le sentiment suivant : « encore du déjà vu », pour reprendre les paroles mêmes du célèbre Yogi Berra.
Vers la fin de son mandat, ma prédécesseure avait résumé ses impressions sur les dix ans d’audits et de recommandations sur les problèmes relatifs aux Premières Nations en qualifiant la situation d’« inacceptable ». Force m’est d’admettre que la situation actuelle semble plus qu’inacceptable si, aux résultats des audits présentés dans le passé, nous ajoutons ceux des audits des cinq dernières années.
Cela fait plus d’une décennie que les audits montrent que les programmes ont échoué à servir efficacement les Autochtones du Canada.
Pour bien exécuter des programmes, il faut exercer du leadership, et ce, à tous les paliers : les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et les Premières Nations. Le gros de la responsabilité revient au gouvernement fédéral, même si les autres parties y ont également une part.
Voici le point sur lequel je veux clore mes remarques. Établir des études, des rapports, des conférences, des audits, des listes d’obstacles et des listes de facteurs de réussite, c’est très bien. Mais pour que ces interventions servent à quelque chose, elles doivent s’inscrire dans un contexte muni de la seule véritable ressource indispensable — qui fait la plupart du temps défaut — soit un état d’esprit favorable à la résolution des problèmes.
Tant que nous n’aborderons pas ces questions dans cet état d’esprit nous menant à placer les personnes au cœur des solutions et à s’écarter des litiges, des disputes sur des questions d’argent et des obstacles opérationnels, notre pays continuera de gâcher le potentiel d’une grande partie de ses peuples autochtones.