Printemps 2014 — Rapport du vérificateur général du Canada Chapitre 3 — La planification fiscale abusive
Printemps 2014 — Rapport du vérificateur général du Canada
Chapitre 3 — La planification fiscale abusive
Introduction
Planification fiscale abusive
Objet de l’audit
Observations et recommandations
Détection et correction de l’inobservation
L’Agence du revenu du Canada dispose de nombreux outils pour détecter la planification fiscale abusive
L’Agence du revenu du Canada n’a pas évalué entièrement si elle est en mesure de détecter les dossiers des grandes entreprises à risque élevé
L’Agence du revenu du Canada parvient à corriger les cas d’inobservation
Bien qu’il existe un parcours d’apprentissage officiel pour les vérificateurs, l’Agence du revenu du Canada ne fait pas le suivi de la formation reçue par ceux qui s’occupent de la planification fiscale abusive
Décourager la planification fiscale abusive
L’Agence du revenu du Canada impose des pénalités aux tiers
Mesure du rendement
Il y a des lacunes dans la façon dont l’Agence du revenu du Canada mesure le rendement de son programme de planification fiscale abusive
Modification des lois
L’Agence du revenu du Canada soumet au ministère des Finances du Canada les questions législatives rattachées à la planification fiscale abusive
Le ministère des Finances dépose des propositions législatives, mais nous ne pouvons pas conclure s’il respecte ou non ses processus pour analyser en temps opportun les questions de planification fiscale abusive
Conclusion
Événement postérieur
À propos de l’audit
Annexe — Tableau des recommandations
Pièce :
3.1 — État des quatre stratagèmes de planification fiscale abusive sélectionnés, au 30 novembre 2013
Rapport d’audit de performance
Le présent rapport fait état des résultats d’un audit de performance réalisé par le Bureau du vérificateur général du Canada en vertu de la Loi sur le vérificateur général.
Un audit de performance est une évaluation indépendante, objective et systématique de la façon dont le gouvernement gère ses activités et ses ressources et assume ses responsabilités. Les sujets des audits sont choisis en fonction de leur importance. Dans le cadre d’un audit de performance, le Bureau peut faire des observations sur le mode de mise en œuvre d’une politique, mais pas sur les mérites de celle-ci.
Les audits de performance sont planifiés, réalisés et présentés conformément aux normes professionnelles d’audit et aux politiques du Bureau. Ils sont effectués par des auditeurs compétents qui :
- établissent les objectifs de l’audit et les critères d’évaluation de la performance;
- recueillent les éléments probants nécessaires pour évaluer la performance en fonction des critères;
- communiquent les constatations positives et négatives;
- tirent une conclusion en regard des objectifs de l’audit;
- formulent des recommandations en vue d’apporter des améliorations s’il y a des écarts importants entre les critères et la performance évaluée.
Les audits de performance favorisent une fonction publique soucieuse de l’éthique et efficace, et un gouvernement responsable qui rend des comptes au Parlement et à la population canadienne.
Introduction
3.1 L’Agence du revenu du Canada a pour mission d’exécuter les programmes fiscaux, de prestations et autres, et de s’assurer que les contribuables observent la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur la taxe d’accise et d’autres textes de loi connexes au nom des administrations publiques de l’ensemble du Canada. En tant qu’administrateur fiscal du Canada, l’Agence a pour objectif principal, outre la protection de l’assiette fiscale, de s’assurer que les contribuables s’acquittent de leurs obligations.
3.2 Le ministère des Finances du Canada est chargé d’élaborer et d’évaluer les politiques fédérales relatives à l’impôt. Il lui incombe de rédiger des lois qui traduisent fidèlement les politiques fiscales établies par le gouvernement du Canada. Il reçoit des propositions de modifications législatives de l’Agence du revenu du Canada et il indique au ministre des Finances si des modifications doivent être apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu et textes de loi connexes.
Planification fiscale abusive
3.3 De nombreux contribuables (particuliers, sociétés et fiducies) utilisent la planification fiscale afin de réduire ou d’éliminer l’impôt à payer. Les tribunaux canadiens ont établi que, en général, les contribuables ont le droit d’effectuer des opérations qui leur permettent de minimiser leur obligation fiscale. Cependant, ce droit a été restreint au Canada par des règles anti-évitement imposées par la loi, notamment par une disposition générale anti-évitement (DGAE). Cette disposition peut s’appliquer à une planification fiscale jugée abusive, que l’Agence définit comme étant des arrangements qui excèdent les limites d’une planification fiscale acceptable. La DGAE s’applique à des arrangements de planification fiscale qui respectent la lettre de la loi, mais qui vont à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la Loi de l’impôt sur le revenu. La DGAE a été adoptée en 1988 pour permettre à l’Agence de contrecarrer les évitements fiscaux et les abus éventuels du régime fiscal. Elle peut s’appliquer si une opération s’avère un abus au regard de la Loi et des dispositions connexes. Le cas échéant, l’avantage fiscal qui en découle est refusé.
3.4 Dans son profil de risque d’entreprise, l’Agence a désigné la planification fiscale abusive (PFA) comme l’un des risques les plus élevés liés à son mandat, consistant à veiller à ce que les contribuables s’acquittent de leurs obligations. Le programme de PFA, qui relève de la Direction générale des programmes d’observation de l’Agence, cerne les nouveaux enjeux, arrangements et produits d’évitement fiscal, et traite les cas qui nécessitent un recours. Il vise aussi à mettre en œuvre la disposition générale anti-évitement (DGAE) et à administrer des programmes spéciaux d’audit pour le compte de l’Agence et des provinces.
3.5 Le contribuable peut effectuer une planification fiscale abusive de diverses façons. Parmi les nombreux types de stratagèmes dont l’Agence connaît l’existence, nous en avons sélectionné quatre. De ces quatre stratagèmes, deux sont utilisés principalement par les grandes entreprises : l’assurance à l’étranger et les débâcles technologiques. Les deux autres, soit les dépouillements de REER et le transfert de valeur au moyen d’un dividende en actions, sont surtout utilisés par les particuliers et les petites entreprises. L’Agence nous a remis une estimation des recettes, des pertes et des nouvelles cotisations; nous n’avons pas audité ces montants. En outre, les montants d’impôt des nouvelles cotisations qui seront établis ne constitueront qu’une fraction des revenus ou des pertes cernés.
3.6 Assurance à l’étranger — Dans un stratagème d’assurance à l’étranger, les entreprises canadiennes effectuent des opérations pour réassurer ou « échanger » le portefeuille d’assurances canadien avec un portefeuille étranger en faisant appel à une société étrangère affiliée (soit une société non résidente dont le contribuable canadien détient au moins 10 % des actions). Il en résulte que le revenu gagné à l’étranger n’est pas imposé au Canada. L’Agence estime qu’entre 2006 et 2013, la somme des revenus découlant de ces stratagèmes s’élevait à 9,8 milliards de dollars. L’incidence réelle sur l’impôt à calculer pour ces stratagèmes dépend du taux applicable à chacun des contribuables et du moment où la nouvelle cotisation est établie.
3.7 Dépouillements de REER (régime enregistré d’épargne-retraite) — Les dépouillements de REER visaient à offrir des avantages aux particuliers par le retrait (ou le « dépouillement ») non imposable de fonds dans des REER, qui sont généralement fermés pour une période donnée, puis la remise d’un reçu officiel correspondant à un montant au moins trois fois plus élevé que celui réellement versé dans les REER. Pour les exercices 2009-2010 à 2011-2012, l’Agence a établi une nouvelle cotisation pour les contribuables impliqués dans ce type de stratagème; en tout, 22 millions de dollars en impôt fédéral additionnel ont été imposés.
3.8 Transfert de valeur au moyen d’un dividende en actions — Dans ce stratagème, un contribuable qui a vendu une immobilisation et réalisé un gain en capital crée une perte en capital artificielle pour compenser le gain. La perte en capital artificielle est créée en effectuant des opérations qui font appel à un dividende en actions pour, en réalité, transférer la valeur des actions entre des catégories et vendre une catégorie d’actions, obtenant ainsi une perte artificielle. À ce jour, l’Agence a décelé des cas de transferts de valeur au moyen de dividendes en actions pour des pertes en capital artificielles totalisant 3,5 milliards de dollars. L’incidence réelle sur l’impôt à calculer pour ces stratagèmes dépend du taux applicable à chacun des contribuables et du moment où la nouvelle cotisation est établie.
3.9 Débâcles technologiques — Dans une débâcle technologique, les pertes fiscales d’une société servent à réduire les revenus d’une autre société qu’elle ne contrôle pas, c’est-à-dire une société non affiliée. Cette expression découle du fait qu’une telle méthode d’attribution des pertes a débuté dans le secteur des technologies. La Loi de l’impôt sur le revenu autorise les sociétés affiliées à utiliser les pertes du groupe de sociétés. L’utilisation des pertes fiscales de sociétés non affiliées est un exemple de cas dépassant l’intention du législateur. L’Agence estime que les pertes utilisées pour réduire le revenu des sociétés dans le cadre de ce stratagème s’élèvent à environ 3,5 milliards de dollars. L’incidence réelle sur l’impôt à calculer pour ces stratagèmes dépend du taux applicable à chacun des contribuables et du moment où la nouvelle cotisation est établie.
3.10 État des stratagèmes de planification fiscale abusive sélectionnés — La pièce 3.1 résume l’état des quatre stratagèmes de planification fiscale abusive au moment de l’audit, indiquant s’ils ont été désamorcés et à quel moment et par quel moyen ils l’ont été.
Pièce 3.1 — État des quatre stratagèmes de planification fiscale abusive sélectionnés, au 30 novembre 2013
Stratagème | Désamorçage |
---|---|
Assurance à l’étranger | Non désamorcé* |
Dépouillements de REER | Le budget fédéral de 2011 a mis un terme à ce stratagème. |
Transfert de valeur au moyen d’un dividende en actions | Les tribunaux ont décidé de refuser les avantages fiscaux. |
Débâcles technologiques | Le budget fédéral de 2013 a mis un terme à ce stratagème. |
* Pour plus d’information, voir le paragraphe intitulé Événement postérieur, à la fin du rapport. |
3.11 Bien que la participation à une PFA ne constitue pas un acte criminel, dans le cadre de son programme de PFA, l’Agence constate parfois des cas d’évasion fiscale. L’évasion fiscale est une violation délibérée de la loi, tandis que l’évitement fiscal découle sans doute de différences légitimes dans l’interprétation de « sans dol et avec une divulgation complète ». Notre audit ne porte pas sur l’évasion fiscale ou sur d’autres activités faisant l’objet d’enquêtes criminelles.
Objet de l’audit
3.12 Notre audit portait sur la façon dont l’Agence du revenu du Canada gère le programme de planification fiscale abusive et dont le ministère des Finances du Canada répond aux demandes de modifications législatives pour régler les problèmes liés à la planification fiscale abusive que l’Agence a relevés. Plus précisément, notre audit visait à déterminer si :
- l’Agence protège l’assiette fiscale en détectant et en corrigeant ce type d’inobservation et en dissuadant de recourir à la planification fiscale abusive;
- le ministère des Finances du Canada dispose des mécanismes appropriés pour analyser en temps opportun les questions de planification fiscale abusive soumises par l’Agence et, au besoin, rédiger des textes de loi connexes.
3.13 L’audit a porté sur la période du 1er avril 2010 au 30 novembre 2013. Quant aux études de dossiers, elles vont de la détection de chaque stratagème jusqu’à novembre 2013. La section intitulée À propos de l’audit, à la fin du chapitre, donne des précisions sur les objectifs, l’étendue, la méthode et les critères de l’audit.
Observations et recommandations
Détection et correction de l’inobservation
3.14 Nous avons examiné si l’Agence du revenu du Canada dispose d’outils et de processus pour détecter et corriger la planification fiscale abusive.
L’Agence du revenu du Canada dispose de nombreux outils pour détecter la planification fiscale abusive
3.15 L’Agence détecte la planification fiscale abusive à l’aide des outils suivants :
- audits en fonction du risque, notamment les audits de grandes entreprises et l’initiative des parties apparentées qui gère l’observation de groupes de particuliers ou de familles ayant une valeur nette supérieure à 50 millions de dollars;
- renvois des auditeurs et de la Direction des décisions de l’impôt de l’Agence;
- divulgation volontaire des contribuables;
- indices provenant de dénonciateurs;
- déclaration obligatoire des opérations d’évitement fiscal prescrite par la loi;
- information accessible au public, sur l’Internet et sur diverses tribunes fiscales.
3.16 Lorsque nous avons examiné les quatre stratagèmes de planification fiscale abusive, nous avons constaté que ceux-ci ont été détectés à la suite de renvois d’auditeurs sur place et de la Direction des décisions de l’impôt de l’Agence. Cette direction, qui fournit aux contribuables des décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu, est une source importante de renseignements d’entreprise pour détecter la planification fiscale abusive puisqu’elle reçoit de l’information sur les opérations proposées et qu’elle est en mesure de relever les tendances et les stratagèmes.
3.17 En 2013, une nouvelle loi a été adoptée selon laquelle les contribuables, les promoteurs et les fiscalistes sont tenus de divulguer de l’information, lorsque certaines conditions sont remplies, pour aider l’Agence à détecter les stratagèmes de planification fiscale abusive. Une loi semblable est en vigueur depuis quelques années au Québec et dans quelques pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.
L’Agence du revenu du Canada n’a pas évalué entièrement si elle est en mesure de détecter les dossiers des grandes entreprises à risque élevé
3.18 Les opérations et les séries d’opérations qui constituent une planification fiscale abusive (PFA) peuvent être très complexes. Bien souvent, l’Agence du revenu du Canada ne dispose pas de toute l’information décrivant le but et le résultat des opérations. Une analyse approfondie est souvent nécessaire pour détecter et comprendre de tels stratagèmes. Par conséquent, pour que l’Agence puisse détecter une planification fiscale abusive, elle doit disposer d’un processus systématique pour cerner les dossiers à risque élevé.
3.19 Au début de l’exercice 2010-2011, la Direction du secteur international et des grandes entreprises a introduit progressivement une nouvelle approche pour favoriser l’observation des grandes entreprises, y compris les utilisateurs de la planification fiscale abusive. Selon cette approche, tous les contribuables du bassin des grandes entreprises font l’objet d’une évaluation annuelle des risques au moyen du modèle national d’évaluation des risques (MNER). Un élément clé du processus consiste à identifier les contribuables qui risquent le plus d’avoir recours à une planification fiscale abusive. Les contribuables jugés à risque élevé d’inobservation selon le MNER sont assujettis à un examen plus approfondi que les contribuables considérés à risque faible.
3.20 Nous nous sommes penchés sur le processus utilisé par le MNER pour sélectionner des dossiers à risque élevé parce que l’Agence a indiqué que le bassin des grandes entreprises était une priorité dans le plan d’activités du programme de la Direction générale des programmes d’observation. Le niveau du risque, la complexité des questions fiscales en jeu et la somme des répercussions fiscales éventuelles découlant des audits, y compris l’impôt fédéral et l’impôt provincial calculé, plus les intérêts et les pénalités, expliquent ce choix. Nous avons constaté que, dans le cadre du MNER, l’Agence avait mis au point des indices pour aider les auditeurs à détecter les dossiers de planification fiscale abusive possibles. Cependant, nous avons remarqué que, bien que l’Agence ait pris des mesures pour évaluer l’efficacité du MNER à détecter les cas de planification fiscale abusive, elle n’a pas terminé cette tâche. Comme l’Agence n’a pas entièrement éprouvé l’efficacité de cet outil de détection clé, elle ne peut pas être certaine que les dossiers à risque élevé sont réellement détectés et retenus pour un suivi.
3.21 Recommandation — Pour que l’Agence du revenu du Canada puisse obtenir l’assurance que son outil d’évaluation des risques de planification fiscale abusive repère bien les dossiers à risque élevé, elle devrait terminer la mise à l’essai de l’efficacité du modèle national d’évaluation des risques.
Réponse de l’Agence — Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada s’est engagée à mettre à l’essai l’efficacité de son outil d’évaluation du risque (modèle national d’évaluation du risque – MNER) afin de s’assurer qu’elle sélectionne les cas comportant le risque le plus élevé. Ceci sera effectué par l’entremise de la rétroaction prédéfinie dans le cadre du projet d’automatisation du MNER, qui doit être terminé au cours de l’exercice 2014-2015.
L’Agence mettra à l’essai l’efficacité du MNER en fonction des résultats de vérification des dossiers terminés et sélectionnés en vertu du modèle.
On prévoit que l’évaluation continue commencera en 2015-2016. Le résultat de cette évaluation fera partie des améliorations continues apportées au MNER et aux critères de risque associés.
L’Agence du revenu du Canada parvient à corriger les cas d’inobservation
3.22 Lorsque l’Agence du revenu du Canada soupçonne un contribuable d’employer un stratagème de planification fiscale abusive, elle prend certaines mesures. Tout d’abord, elle détermine si une disposition formelle ou une disposition anti-évitement précise de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique; le cas échéant, elle l’applique. Sinon, l’Agence détermine si l’article de la Loi évoquant la disposition générale anti-évitement (DGAE) s’applique. Si l’Agence détermine que la DGAE ne s’applique pas, elle n’établit pas une nouvelle cotisation. Si elle détermine que la DGAE s’applique, elle en établit une nouvelle. Si le contribuable ne conteste pas la nouvelle cotisation, l’affaire est considérée comme résolue. Si le contribuable la conteste, l’affaire pourrait être portée devant les tribunaux. Peu importe le résultat des mesures prises, l’Agence peut demander des modifications à la législation fiscale pour interdire une planification fiscale abusive en particulier. Les modifications législatives ne sont habituellement pas rétroactives; elles ne s’appliquent donc pas aux stratagèmes déjà utilisés.
3.23 Un comité (le comité de la DGAE), composé de représentants de l’Agence, du ministère des Finances du Canada et du ministère de la Justice du Canada, décide si la DGAE s’applique ou non. Si le comité décide que la DGAE s’applique dans un dossier en particulier, une nouvelle cotisation est établie. Si le contribuable a demandé une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu, une décision sur l’application de la DGAE est rendue (ou le contribuable peut retirer sa demande de décision).
3.24 Nous avons vérifié si l’Agence utilise efficacement la DGAE comme outil pour corriger et empêcher le recours à une planification fiscale abusive. Lorsque nous avons analysé les quatre types de stratagèmes de planification fiscale abusive retenus, nous avons remarqué que des dossiers de tous les types ont été renvoyés au comité de la DGAE. Par exemple, l’Agence était au courant de l’assurance à l’étranger, décrite au paragraphe 3.6, depuis au moins l’an 2000. Il y a eu des variantes du stratagème de base, mais celles-ci ont toutes eu des effets fiscaux semblables. À ce jour, trois dossiers d’assurance à l’étranger ont été renvoyés au comité de la DGAE. Un dossier l’a été en 2003 et le comité a décidé que la DGAE ne s’appliquait pas. Le comité a reçu un deuxième dossier en 2006 et a décidé que la DGAE s’appliquait; une nouvelle cotisation a été établie, et le contribuable l’a contestée. Un règlement à l’amiable a été conclu, l’affaire n’a donc pas été portée devant les tribunaux. Un troisième dossier a été envoyé au comité de la DGAE en décembre 2011; en avril 2013, le comité a décidé que la DGAE s’appliquait. En juillet 2013, le ministre des Finances du Canada a demandé des statistiques sur la question, que l’Agence lui a remises. Au moment d’achever notre audit, la question n’avait pas encore été réglée. Pour plus d’information, voir le paragraphe intitulé Événement postérieur, à la fin du présent chapitre.
3.25 Quant au transfert de valeur au moyen d’un dividende en actions, l’Agence l’a relevé en 2002, pour le soumettre au comité de la DGAE en juin 2003. En février 2004, l’Agence a alerté le ministère des Finances du Canada, qui à son tour a recommandé des modifications législatives pour interdire ce stratagème; toutefois, les changements inscrits au budget fédéral de mars 2004 n’ont pas tout réglé. En juillet de la même année, l’Agence a envoyé une note à ses vérificateurs sur le terrain pour les mettre en garde contre pareilles opérations et leur conseiller de renvoyer des cas à l’administration centrale pour considération par le comité de la DGAE, si nécessaire. En avril 2005, l’Agence a une fois de plus demandé des modifications législatives au ministère des Finances du Canada. Elle a aussi fait connaître sa position par une conférence à l’intention des fiscalistes en 2007, et par une alerte fiscale aux contribuables en 2009. Ce sont finalement trois arrêts de la Cour d’appel fédérale de 2012 et du début 2013 qui ont réglé la question, confirmant que l’Agence avait le droit d’interdire par la DGAE que l’on tire quelque avantage fiscal de ce genre d’opérations. Les trois arrêts sont contraignants.
3.26 L’Agence a analysé les décisions prises en 2012 en vertu de la DGAE. Selon cette analyse, cette année-là, 80 cas présumés de planification fiscale abusive ont été soumis au comité de la DGAE, qui a conclu que la DGAE s’appliquait dans 77 d’entre eux (96 %). Ayant demandé à voir les décisions du comité, nous avons constaté que, pendant la période visée par l’audit, 33 % n’avaient pas été documentées. Par conséquent, nous n’avons pas pu terminer notre analyse pour confirmer les résultats.
3.27 D’après les données compilées par l’Agence depuis l’introduction de la règle en 1988 jusqu’au 12 septembre 2013, le comité de la DGAE a conclu que la DGAE s’appliquait dans 897 cas sur 1 163 (77 %). Quand il a conclu dans l’autre sens, c’était généralement parce qu’il estimait que l’affaire cadrait avec l’esprit et l’objet de la Loi de l’impôt sur le revenu.
3.28 Depuis 1988, d’après l’Agence, le ministre du Revenu national a eu gain de cause dans 28 des 54 dossiers DGAE portés devant les tribunaux – autrement dit, dans ces 28 cas, la DGAE s’appliquait et les avantages fiscaux obtenus ont été refusés. Il arrive que le ministère des Finances du Canada attende de connaître le verdict des tribunaux plutôt que de recommander des modifications législatives. Or le système judiciaire peut être très lent, et les procès s’étirent souvent sur plusieurs années. Entre-temps, l’Agence doit trouver les contribuables qui appliquent des plans fiscaux comparables à ceux en litige, les recotiser, puis attendre le verdict. Quand l’Agence perd une cause, son comité des décisions défavorables se réunit pour discuter des mesures à prendre et envisager s’il y a lieu de demander des modifications législatives. Pour l’Agence, une défaite judiciaire est une bonne occasion d’apprendre, car elle montre comment les tribunaux voient l’application de la DGAE dans tel ou tel stratagème de planification fiscale abusive.
Bien qu’il existe un parcours d’apprentissage officiel pour les vérificateurs, l’Agence du revenu du Canada ne fait pas le suivi de la formation reçue par ceux qui s’occupent de la planification fiscale abusive
3.29 La planification fiscale abusive (PFA) donne lieu à des opérations généralement très complexes, dont les répercussions ne sont pas toujours faciles à évaluer. En outre, quand la DGAE ou des modifications législatives viennent à bout d’un stratagème de PFA particulière, les promoteurs commencent à chercher d’autres vides juridiques pour réduire, voire éliminer complètement, les impôts à payer. Il est donc important que les vérificateurs en PFA comprennent clairement la loi et les stratagèmes courants de PFA pour accomplir un travail de qualité. Cette compréhension s’acquiert par la formation, le mentorat, l’échange de renseignements et la communication à l’interne. Elle est essentielle pour repérer et évaluer correctement les opérations de PFA possibles. Nous avons donc vérifié si l’Agence du revenu du Canada formait ses vérificateurs dans ce domaine pour qu’ils sachent repérer la PFA et recommander des façons de l’enrayer.
3.30 L’équipe de la formation continue de l’Agence a tracé pour les vérificateurs en PFA un parcours d’apprentissage qui précise les cours et autres activités (p. ex. le mentorat) nécessaires à chaque niveau. Nous avons demandé des preuves montrant la formation que les vérificateurs en PFA recevaient, afin de pouvoir comparer ces données au parcours d’apprentissage tracé pour eux par l’Agence. Cependant, vu les limites de ses systèmes informatiques et l’inexactitude des données sur ses employés, l’Agence n’a pas pu démontrer que ses vérificateurs en PFA recevaient effectivement cette formation.
3.31 L’Agence laisse à ses bureaux régionaux le soin de déterminer les cours dont ont besoin les vérificateurs en PFA de chaque niveau, ainsi que les lacunes dans la formation, les cours nécessaires et le nombre de vérificateurs à former. Étant donné que l’Administration centrale n’a qu’un accès limité aux données de formation des employés, elle ne fait pas de suivi sur les cours auxquels les vérificateurs en PFA ont assisté et elle n’a pas déterminé toute l’ampleur des lacunes possibles dans leur formation.
3.32 Nous avons cherché aussi à savoir comment l’Agence faisait connaître aux vérificateurs concernés les quatre stratagèmes de PFA décrits dans le présent chapitre. Nous avons constaté qu’elle le faisait adéquatement, par des bulletins techniques, des séances d’information et des webinaires.
3.33 Recommandation — L’Agence du revenu du Canada devrait suivre les progrès de ses vérificateurs en planification fiscale abusive par rapport à leurs parcours d’apprentissage, et utiliser cette information pour détecter les lacunes et fournir de la formation au besoin.
Réponse de l’Agence — Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada élaborera un cadre de formation afin de surveiller l’historique de la formation des vérificateurs en planification fiscale abusive (PFA) par rapport à leurs parcours d’apprentissage. Cette information sera utilisée pour détecter et combler les lacunes en matière de formation.
Le cadre sera élaboré d’ici octobre 2014. D’ici mars 2015, nous aurons déterminé les lacunes en matière de formation et nous serons en mesure de mieux cibler les besoins de formation.
Décourager la planification fiscale abusive
3.34 Nous avons vérifié si l’Agence du revenu du Canada décourageait les contribuables de recourir à la planification fiscale abusive (PFA). Il s’agissait par exemple de savoir si elle publiait des communiqués de presse sur les arrangements fiscaux qu’elle s’apprêtait à auditer, si elle travaillait avec des associations de fiscalistes pour faire connaître sa vision des différents stratagèmes de PFA, et si elle imposait des pénalités aux spécialistes en déclarations de revenus et aux autres tiers.
L’Agence du revenu du Canada impose des pénalités aux tiers
3.35 Existant depuis 2000, les pénalités administratives imposées à des tiers servent à empêcher que des tiers fassent, en matière d’impôt sur le revenu, de taxe sur les produits et services ou de taxe de vente harmonisée, des omissions ou des fausses déclarations qui résulteraient en l’inobservation de la Loi de l’impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d’accise.
3.36 Imposer ou non des pénalités administratives à un tiers est une décision qui relève de l’Agence du revenu du Canada. Les vérificateurs de l’impôt chargés d’une telle décision peuvent consulter le matériel d’orientation de l’Agence, qui comprend une circulaire d’information sur le sujet. S’ils jugent qu’une pénalité est de mise, le dossier est remis au comité d’examen des pénalités imposées à des tiers. Composé de cadres de l’Agence, du ministère des Finances du Canada et du ministère de la Justice du Canada, ce comité étudie chaque dossier, pour finalement accepter ou rejeter la recommandation d’application de la pénalité.
3.37 De 2009-2010 à 2012-2013, l’Agence a soumis 118 dossiers au comité d’examen des pénalités imposées à des tiers. Parmi les tiers visés figuraient des personnes qui encourageaient le dépouillement de REER. Sur les 118 dossiers :
- 48 ont été acceptés;
- 22 ont été rejetés;
- 48 étaient toujours à l’étude à la fin de la période visée par l’audit.
Les 48 pénalités effectivement imposées totalisent 63,3 M$ (la valeur médiane étant d’environ 440 000 $). Nous ne pouvons pas mesurer l’effet dissuasif de ces pénalités, mais sans doute qu’elles changent quelque chose au comportement des spécialistes en déclarations de revenus et autres promoteurs de la planification fiscale.
Mesure du rendement
3.38 Selon notre objectif de savoir si elle détecte, règle et décourage les cas d’inobservation, nous avons vérifié si l’Agence du revenu du Canada mesurait le rendement de son programme de planification fiscale abusive. De fait, l’Agence a déterminé à cette fin trois indicateurs principaux : l’utilisation du budget salarial, l’impôt généré par la vérification, et la qualité des évaluations de dossiers. Nous avons examiné d’une part si ces indicateurs pour mesurer les résultats du programme étaient adéquats, et d’autre part si l’Agence analysait et s’efforçait de réduire les écarts entre les objectifs et les résultats.
Il y a des lacunes dans la façon dont l’Agence du revenu du Canada mesure le rendement de son programme de planification fiscale abusive
3.39 Disposer de trois indicateurs qui éclairent l’utilisation des ressources de même que l’issue et la qualité des efforts de vérification permet d’en savoir beaucoup sur le succès du programme de planification fiscale abusive (PFA), mais d’après nous, il y aurait moyen de mieux interpréter les résultats.
3.40 Utilisation du budget salarial — Cet indicateur permet de savoir quelle proportion des salaires prévus annuellement est versée réellement pour le programme de PFA. En 2012-2013, l’Agence avait prévu verser presque 41,6 M$ en salaires, mais elle a versé à peine plus de 37 M$ (environ 89 %) en salaires prévus au budget. Cette année, l’objectif visé par le programme est de verser au moins 90 % des salaires prévus. L’objectif de l’exercice 2011-2012 était souple, vu la transformation des activités qui s’opérait.
3.41 Impôt généré par la vérification — Par « impôt généré par la vérification (IGV) », l’Agence entend l’impôt fédéral supplémentaire qui est recueilli par application du programme de PFA. L’IGV n’inclut pas les sommes que le personnel du programme récupère sans effort ou presque (par exemple, quand le contribuable apporte lui-même des ajustements). Il sert à mesurer le rendement, non pas des vérificateurs, mais du programme dans les régions. L’impôt généré par la vérification comprend les ajustements aux déclarations de revenus, par suite d’une vérification, qui modifient immédiatement l’impôt fédéral à payer; il comprend aussi les ajustements qui se répercutent sur les exercices ultérieurs. Les éléments ci-dessous, qui faisaient auparavant partie de l’impôt généré par la vérification dans le cadre du programme de PFA, n’en font plus partie :
- l’impôt provincial calculé dans les vérifications interprovinciales de l’évitement fiscal;
- les pénalités administratives imposées à des tiers;
- toute valeur à l’abri de l’impôt, comme les ajustements au capital versé des actions.
3.42 Puisque l’IGV exclut ce qui précède, il ne présente pas une image parfaitement fidèle des résultats. Toutefois, l’Agence déclare au Parlement « l’incidence fiscale », soit la valeur totale de tout ce que ses activités de lutte à l’inobservation ont rapporté. Cette valeur comprend l’IGV, l’impôt provincial, les intérêts et les pénalités, donnant ainsi au Parlement une image plus complète des résultats des vérifications.
3.43 L’Agence a dépassé ses objectifs d’IGV en 2010-2011 et en 2011-2012. Par contre, en 2012-2013, l’objectif a considérablement augmenté, si bien que l’Agence n’a pas pu l’atteindre, ce qu’elle explique par différents facteurs, dont les difficultés posées par une transformation des activités au sein des PFA et un rendement inférieur dans une région en particulier. L’exclusion de certains éléments (voir le paragraphe 3.41) a aussi contribué à faire baisser les résultats. L’Agence croit toutefois que son récent projet de transformation des activités promet de meilleurs résultats à l’avenir. Nous avons constaté que quand l’Agence n’atteignait pas ses objectifs (comme dans le cas de l’IGV), elle en analysait les raisons et prenait des mesures correctives.
3.44 Entre autres objectifs, le programme de PFA vise à cerner et à régler les cas d’inobservation, de même qu’à encourager l’observation volontaire. L’IGV est un bon indicateur de l’effet à court terme des efforts déployés relativement à l’observation (impôt calculé pour les cas d’inobservation). Or, quand l’Agence réussit à encourager l’observation volontaire, la valeur de l’IGV peut se trouver à diminuer. Cette valeur ne tient pas compte, par exemple :
- de l’effet dissuasif qui se traduit par l’utilisation moins fréquente de stratagèmes de planification fiscale abusive par les contribuables, et donc par moins de nouvelles cotisations;
- des changements législatifs pour décourager le recours à la planification fiscale abusive, ce qui réduit aussi le nombre des nouvelles cotisations.
Bref, nous avons constaté que, même si l’IGV illustre bien les résultats immédiats des vérifications, on ne devrait pas s’y fier pour jauger le succès à long terme du programme de PFA.
3.45 L’Agence travaille à définir de meilleurs indicateurs de rendement pour le programme de PFA. Par exemple, une initiative récente dans le secteur des grandes entreprises (voir le paragraphe 3.19) prévoit de mesurer combien les vérifications et les efforts pro-observation parviennent à modifier le comportement des contribuables. Nous encourageons l’Agence à aller de l’avant et, dans la mesure du possible, à procéder de cette façon pour le programme de PFA. Elle nous dit travailler avec d’autres administrations d’impôt qui cherchent à mesurer le succès de leurs efforts pour changer le comportement des contribuables – en prévenant et en décourageant par exemple l’inobservation chez les grandes entreprises.
3.46 Recommandation — L’Agence du revenu du Canada devrait revoir les mesures de rendement de son programme de planification fiscale abusive, en créant de nouvelles mesures et de nouveaux indicateurs capables d’illustrer plus fidèlement le succès du programme.
Réponse de l’Agence — Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada explore actuellement les possibilités d’améliorer les mesures de son programme de planification fiscale abusive (PFA). Une liste des mesures de rendement pertinentes sera terminée d’ici mars 2015.
De plus, l’Agence cherche continuellement à trouver des façons de mesurer l’efficacité des mesures de vérification sur l’observation volontaire. Il s’agit d’une question complexe à laquelle font face plusieurs administrations fiscales. L’Agence participe actuellement à divers forums, y compris le Forum sur l’administration fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) afin d’examiner des solutions.
3.47 Qualité des évaluations de dossiers — Pour que l’Agence du revenu du Canada considère une vérification comme de bonne qualité, celle-ci doit porter sur une cible choisie selon une juste évaluation du risque, avoir été bien planifiée, et s’être faite dans le respect du plan (mis à jour au besoin), des politiques, des procédures et des dispositions législatives pertinentes. En outre, chaque décision doit dûment être justifiée dans les dossiers de l’Agence, de même que communiquée au contribuable et à ses représentants. À titre d’exemple, une vérification de mauvaise qualité peut coûter très cher. Des frais supplémentaires peuvent être engagés si l’on a mal appliqué la loi, et les contribuables portent beaucoup de dossiers en appel. De même, une mauvaise évaluation des risques peut faire rater aux vérificateurs des dossiers qui auraient pu déboucher sur des nouvelles cotisations substantielles. Passer trop de temps sur les dossiers à faible risque revient à employer des ressources qui pourraient être plus utiles pour les dossiers à risque élevé.
3.48 Chaque année, l’Agence passe en revue un échantillon de dossiers de vérification tiré des quatre programmes de la Direction du secteur international et des grandes entreprises – les dossiers internationaux, les dossiers des grandes entreprises, les dossiers de base et la planification fiscale abusive – pour juger si le travail a été bien fait. Les résultats sont considérés comme un indicateur de rendement primordial pour le programme de planification fiscale abusive (PFA). Nous avons examiné si l’Agence avait pris les mesures nécessaires pour corriger les faiblesses mises au jour par ces efforts d’assurance de la qualité.
3.49 Nous avons constaté qu’en 2012, l’Agence a passé en revue un échantillon de 89 vérifications, prélevées parmi les 1 242 dossiers de PFA traités en 2010-2011. Dix d’entre eux (11 %) ont été renvoyés sur le terrain à cause de lacunes graves (p. ex. des problèmes majeurs que la vérification n’abordait pas). La revue la plus récente, en 2013, a produit des résultats similaires.
3.50 Après l’examen d’assurance de la qualité mené en 2012, l’Agence a recommandé une série d’améliorations, entre autres de voir à ce que toutes les évaluations de risque pertinentes se fassent et soient versées au dossier de vérification. Nous avons vérifié comment l’Agence entendait corriger les lacunes mises au jour. Nous avons constaté qu’elle assujettissait le travail de vérification à des contrôles supplémentaires.
Modification des lois
3.51 Comme nous l’avons mentionné au paragraphe 3.22, la modification des lois est un moyen parmi d’autres de contrer la planification fiscale abusive. Nous avons examiné si l’Agence du revenu du Canada avait de bons mécanismes pour détecter les stratagèmes pouvant nécessiter des modifications législatives, et si elle adressait des demandes au ministère des Finances du Canada en temps opportun. De même, nous avons vérifié si ce dernier avait de bons mécanismes pour analyser les demandes du genre et recommander des modifications législatives.
L’Agence du revenu du Canada soumet au ministère des Finances du Canada les questions législatives rattachées à la planification fiscale abusive
3.52 La Direction de la politique législative de l’Agence du revenu du Canada assure le lien avec le ministère des Finances du Canada quand l’Agence, par exemple, a des questions de droit fiscal à soulever. Mise au courant par différents moyens, la Direction communique régulièrement avec le Ministère. À l’occasion, d’autres secteurs de l’Agence communiquent aussi directement avec lui.
3.53 Entre autres méthodes pour recueillir et communiquer l’information sur les questions importantes, la Direction de la politique législative demande une liste de questions prioritaires aux différentes directions générales de l’Agence avant le début de l’élaboration du budget fédéral, où le gouvernement annonce les changements qu’il entend apporter aux lois et aux politiques. L’Agence transmet ensuite au Ministère les questions que ses cadres supérieurs ont jugées prioritaires après évaluation. Rien ne l’empêche de signaler les mêmes questions année après année, si besoin est.
3.54 Parmi les demandes prioritaires de l’Agence figurent les dépouillements de REER, mis au jour à la fin des années 1990. En septembre 2009, l’Agence a soumis une analyse de rentabilisation au ministère des Finances du Canada pour lui faire connaître la nature et l’ampleur de la question. Dans les dix années après avoir découvert ce stratagème, l’Agence a recueilli de l’information, communiqué avec le Ministère, entrepris certains projets pour évaluer l’ampleur de la question, et fait de la sensibilisation (c’est-à-dire communiqué avec des contribuables, lancé des alertes fiscales, etc.). Le budget fédéral de 2011 annonçait plusieurs modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu pour mettre fin aux dépouillements de REER.
3.55 Voici un autre cas semblable. L’Agence a signalé l’utilisation inappropriée des pertes par débâcles technologiques au ministère des Finances du Canada pour la première fois en février 2001, puis elle a fait des suivis en 2004 et en 2006. Entre-temps, le programme de PFA à l’Administration centrale a constamment informé ses vérificateurs sur le terrain de ce type d’opérations. L’Agence a établi une nouvelle cotisation pour les contribuables touchés par des débâcles technologiques, transmettant certains dossiers au comité de la DGAE. Le budget de 2013 a annoncé des changements à la Loi de l’impôt sur le revenu pour contrecarrer ce type de stratagème en empêchant les entreprises de vendre des biens productifs de revenus à des sociétés non affiliées contre des actions sans droit de vote et en utilisant les pertes de ces sociétés pour réduire leurs propres revenus, ainsi qu’en étendant les règles contre le transfert des pertes aux fiducies pour ne pas que les contribuables puissent les contourner en changeant de structure d’entreprise.
Le ministère des Finances dépose des propositions législatives, mais nous ne pouvons pas conclure s’il respecte ou non ses processus pour analyser en temps opportun les questions de planification fiscale abusive
3.56 Le ministère des Finances du Canada se fie largement à l’Agence pour détecter les stratagèmes de planification fiscale abusive (PFA) et prioriser les enjeux qui nécessitent des modifications législatives. Quand le Ministère reçoit de l’Agence une proposition de modification législative, sa Direction de la politique de l’impôt entreprend une analyse. Le Ministère a d’ailleurs des systèmes pour suivre le déroulement des analyses. Parfois, il pousse plus loin ses discussions avec l’Agence. L’Agence peut soumettre des données supplémentaires sur l’ampleur de l’enjeu, ainsi qu’une analyse de rentabilisation détaillée à l’appui de sa demande.
3.57 Nous avons demandé au ministère des Finances du Canada où il en était par rapport aux enjeux prioritaires soumis par l’Agence, entre 2011 et 2013, en vue du budget fédéral (voir le paragraphe 3.53). Plus précisément, nous voulions voir des preuves du travail accompli, pour nous assurer que le Ministère avait étudié tous les enjeux prioritaires soumis par l’Agence pendant les trois années visées par l’audit, même s’il avait été décidé de ne recommander aucune modification législative au ministre. Nous avons aussi demandé au Ministère le même genre de précisions sur les demandes de l’Agence ayant trait aux quatre stratagèmes de planification fiscale abusive retenus.
3.58 En réponse à nos questions, le Ministère nous a fourni une description du processus d’analyse des modifications législatives proposées, son modèle pour les rencontres sur le budget, des précisions sur les mesures budgétaires annoncées, et un peu d’analyse. Il nous a remis également des données tirées des systèmes de suivi des propositions législatives techniques (non budgétaires) entrées en vigueur ou soumises aux commentaires du public pendant les trois années visées par l’audit. Nous avons été en mesure de voir que les budgets de 2011 à 2013 répondaient à la plupart des demandes présentées par l’Agence pendant les trois années de référence.
3.59 Par contre, nous n’avons pu examiner la façon dont le Ministère avait étudié des propositions législatives précises de l’Agence contre la planification fiscale abusive. Le Ministère voit là un secret du Cabinet dont les décrets actuels n’autorisent pas l’accès au Bureau du vérificateur général. C’est la raison pour laquelle le ministère ne nous a pas accordé l’accès à l’information que nous avions demandée. Puisque nous n’avons pas pu consulter l’information demandée, nous ne pouvons déterminer s’il respecte ses processus en analysant les demandes de l’Agence en temps opportun.
Conclusion
3.60 Nous avons conclu qu’en général, le programme de l’Agence du revenu du Canada contre la planification fiscale abusive (PFA) dispose d’outils pour détecter, corriger et décourager l’inobservation. L’Agence a dressé un plan de formation pour ses vérificateurs en PFA, et défini des mesures de rendement pour évaluer les résultats du programme. Cependant, il faudrait finir d’évaluer l’efficacité du modèle national d’évaluation des risques. Les mesures de rendement présentent des faiblesses, et il faut mieux surveiller la formation du personnel de PFA.
3.61 Puisque le ministère des Finances du Canada ne nous a pas fourni la documentation demandée, nous ne pouvons conclure si oui ou non il respecte ses processus pour analyser en temps opportun les questions de planification fiscale abusive. Nous devons quand même reconnaître que les derniers budgets ont largement répondu aux demandes soumises par l’Agence entre 2011 et 2013.
Événement postérieur
3.62 Le budget fédéral 2014, déposé le 11 février 2014, proposait des modifications pour mettre un terme aux stratagèmes d’assurance à l’étranger décrits au paragraphe 3.6 du présent chapitre. Les changements proposés modifient l’actuelle disposition anti-évitement en précisant qu’elle s’applique à ce type de stratagème. Pour les contribuables, cette mesure budgétaire s’applique aux années d’imposition qui commencent à partir de la date du budget ou plus tard. Au moment de la publication du présent rapport, cette mesure budgétaire n’avait pas reçu la sanction royale.
À propos de l’audit
Le Bureau du vérificateur général avait comme responsabilité d’effectuer un examen indépendant du programme de planification fiscale abusive de l’Agence du revenu du Canada afin de donner de l’information, une assurance et des avis objectifs au Parlement en vue de l’aider à examiner soigneusement la gestion que fait le gouvernement des ressources et des programmes.
Tous les travaux d’audit dont traite le présent chapitre ont été menés conformément aux normes relatives aux missions de certification de Comptables professionnels agréés (CPA) Canada qui sont présentées dans le Manuel de CPA Canada — Certification. Même si le Bureau du vérificateur général a adopté ces normes comme exigences minimales pour ses audits, il s’appuie également sur les normes et pratiques d’autres disciplines.
Dans le cadre de notre processus normal d’audit, nous avons obtenu de la direction la confirmation que les constatations présentées dans ce chapitre sont fondées sur des faits.
Objectifs
L’audit avait pour objectif premier de déterminer si l’Agence du revenu du Canada protégeait l’assiette fiscale en décourageant, en détectant et en corrigeant la planification fiscale abusive (PFA), qui est une forme d’inobservation. Le deuxième objectif consistait à déterminer si le ministère des Finances du Canada avait de bons mécanismes pour analyser les demandes de modifications législatives de l’Agence sur les questions de PFA et s’il proposait les changements législatifs pertinents au ministre des Finances et ce, en temps opportun.
Étendue et méthode
Nous avons concentré nos efforts d’audit sur le programme de planification fiscale abusive (PFA), qui fait partie de la Direction du secteur international et des grandes entreprises à la Direction générale des programmes d’observation de l’Agence du revenu du Canada. Nous avons évalué certaines priorités cernées par l’Agence pour ce qui est de détecter et de corriger les cas de PFA, de décourager cette pratique, de former le personnel et de mesurer le rendement. Nous avons aussi examiné quatre stratagèmes de PFA : l’assurance à l’étranger, les dépouillements de REER, le transfert de valeur au moyen d’un dividende en actions et les débâcles technologiques, ainsi que la façon dont le programme de PFA de l’Agence s’y appliquait. Nous avons choisi ces quatre stratagèmes selon des critères quantitatifs (fréquence) et qualitatifs. Les stratagèmes choisis devaient :
- faire partie de ceux que l’on peut expliquer clairement aux profanes;
- présenter un intérêt pour le Parlement;
- avoir une incidence fiscale élevée;
- permettre de protéger l’anonymat des contribuables en cause.
Éléments de notre méthode d’audit :
- entrevues avec des vérificateurs en PFA, des chefs d’équipes et des gestionnaires, dans un échantillon de bureaux des services fiscaux;
- entrevues avec l’équipe de direction à l’Administration centrale de l’Agence du revenu du Canada;
- entrevues avec des gestionnaires et des employés clés au ministère des Finances du Canada;
- examen et analyse de documents pertinents de l’Agence et du Ministère sur la PFA.
Critères
Critères | Sources |
---|---|
Pour déterminer si l’Agence du revenu du Canada protégeait l’assiette fiscale en dissuadant de recourir à la planification fiscale abusive (PFA) ainsi qu’en détectant et en corrigeant ce type d’inobservation, nous avons utilisé les critères suivants : | |
L’Agence met en œuvre un programme opérationnel efficace contre la PFA :
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L’Agence a de bons mécanismes :
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Pour déterminer si le ministère des Finances du Canada disposait de mécanismes appropriés pour analyser en temps opportun les questions de planification fiscale abusive soumises par l’Agence et, au besoin, rédiger les projets de lois connexes, nous avons utilisé le critère suivant : | |
Le ministère des Finances du Canada a de bons mécanismes pour analyser les questions de planification fiscale abusive soumises par l’Agence et ébaucher les projets de lois connexes au besoin, le tout en temps opportun. |
|
La direction a examiné les critères de l’audit et elle en a reconnu la validité.
Période visée par l’audit
L’audit a porté sur la période du 1er avril 2010 au 30 novembre 2013. Quant aux études de dossiers, elles vont de la détection de chaque stratagème jusqu’à novembre 2013. Les travaux d’audit dont il est question dans le présent chapitre ont été terminés le 30 novembre 2013. Un événement postérieur a été signalé au moment du dépôt du budget fédéral, le 11 février 2014.
Équipe d’audit
Vérificatrice générale adjointe : Marian McMahon
Directrice principale : Vicki Plant
Directrice : Tammy Meagher
Lucie Després
Stuart Smith
Pour obtenir de l’information, veuillez téléphoner à la Direction des communications : 613-995-3708 ou 1-888-761-5953 (sans frais).
Annexe — Tableau des recommandations
Les recommandations formulées au chapitre 3 sont présentées ici sous forme de tableau. Le numéro du paragraphe où se trouve la recommandation apparaît en début de ligne. Les chiffres entre parenthèses correspondent au numéro des paragraphes où le sujet de la recommandation est abordé.
Recommandation | Réponse |
---|---|
Détection et correction de l’inobservation | |
3.21 Pour que l’Agence du revenu du Canada puisse obtenir l’assurance que son outil d’évaluation des risques de planification fiscale abusive repère bien les dossiers à risque élevé, elle devrait terminer la mise à l’essai de l’efficacité du modèle national d’évaluation des risques. (3.14-3.20) |
Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada s’est engagée à mettre à l’essai l’efficacité de son outil d’évaluation du risque (modèle national d’évaluation du risque – MNER) afin de s’assurer qu’elle sélectionne les cas comportant le risque le plus élevé. Ceci sera effectué par l’entremise de la rétroaction prédéfinie dans le cadre du projet d’automatisation du MNER, qui doit être terminé au cours de l’exercice 2014-2015. L’Agence mettra à l’essai l’efficacité du MNER en fonction des résultats de vérification des dossiers terminés et sélectionnés en vertu du modèle. On prévoit que l’évaluation continue commencera en 2015-2016. Le résultat de cette évaluation fera partie des améliorations continues apportées au MNER et aux critères de risque associés. |
3.33 L’Agence du revenu du Canada devrait suivre les progrès de ses vérificateurs en planification fiscale abusive par rapport à leurs parcours d’apprentissage, et utiliser cette information pour détecter les lacunes et fournir de la formation au besoin. (3.29-3.32) |
Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada élaborera un cadre de formation afin de surveiller l’historique de la formation des vérificateurs en planification fiscale abusive (PFA) par rapport à leurs parcours d’apprentissage. Cette information sera utilisée pour détecter et combler les lacunes en matière de formation. Le cadre sera élaboré d’ici octobre 2014. D’ici mars 2015, nous aurons déterminé les lacunes en matière de formation et nous serons en mesure de mieux cibler les besoins de formation. |
Mesure du rendement | |
3.46 L’Agence du revenu du Canada devrait revoir les mesures de rendement de son programme de planification fiscale abusive, en créant de nouvelles mesures et de nouveaux indicateurs capables d’illustrer plus fidèlement le succès du programme. (3.38-3.45) |
Recommandation acceptée. L’Agence du revenu du Canada explore actuellement les possibilités d’améliorer les mesures de son programme de planification fiscale abusive (PFA). Une liste des mesures de rendement pertinentes sera terminée d’ici mars 2015. De plus, l’Agence cherche continuellement à trouver des façons de mesurer l’efficacité des mesures de vérification sur l’observation volontaire. Il s’agit d’une question complexe à laquelle font face plusieurs administrations fiscales. L’Agence participe actuellement à divers forums, y compris le Forum sur l’administration fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) afin d’examiner des solutions. |
Définitions :
Décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu — Déclaration écrite que l’Agence du revenu du Canada adresse à un contribuable pour expliquer comment elle interprétera certaines dispositions de la législation fiscale du Canada en vigueur et les appliquera à une ou à plusieurs opérations précises que le contribuable envisage d’effectuer. (Retourner)
- émet ou vend un abri fiscal ou fait la promotion de son émission, de sa vente ou de son acquisition;
- agit à titre de mandataire ou de conseiller;
- accepte une contrepartie relativement à l’abri fiscal. (Retourner)
Capital versé — Calcul fondé sur le droit des sociétés. On appelle généralement « capital déclaré » de la catégorie d’actions concernée le montant ainsi calculé. Certaines dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoient des ajustements au capital déclaré, qui visent à déterminer le capital versé de la catégorie d’actions concernée. (Retourner)
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