2024 — Rapports 1 à 5 du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du CanadaRapport 2 — L’écologisation des matériaux de construction des infrastructures publiques
Rapport de l’auditeur indépendant
Table des matières
- Introduction
- Constatations et recommandations
- Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Services publics et Approvisionnement Canada avaient tardé à favoriser les matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque dans les infrastructures appartenant au gouvernement fédéral
- Infrastructure Canada avait inclus des considérations liées au carbone intrinsèque dans ses programmes de financement de façon limitée, ce qui restreignait sa contribution aux objectifs environnementaux du gouvernement pour 2030
- Conclusion
- À propos de l’audit
- Recommandations et réponses
- Pièces :
- 2.1 — Principaux engagements climatiques du Canada
- 2.2 — Dépenses en infrastructures au Canada en 2021
- 2.3 — Évolution des responsabilités climatiques d’Infrastructure Canada
- 2.4 — Le Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs
- 2.5 — Exemples de mesures incitatives offertes par le gouvernement fédéral des États‑Unis
Introduction
Contexte
2.1 L’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre les changements climatiques s’est imposée à l’échelle mondiale. Depuis plus de 30 ans, le gouvernement du Canada prend plusieurs engagements en matière d’environnement et de développement durable pour limiter les effets néfastes des émissions de gaz à effet de serre (voir la pièce 2.1). En 2021, le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % à 45 % par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030.
Pièce 2.1 — Principaux engagements climatiques du Canada
Sources : Nations Unies et diverses sources du gouvernement fédéral
Pièce 2.1 — version textuelle
Ce diagramme montre la période de 1988 à 2050, au cours de laquelle le Canada a pris des engagements à l’échelle internationale, adopté des mesures législatives et établi des échéances au‑delà de 2050.
En 1988, le Canada accueille une conférence internationale importante, la Conférence mondiale sur l’atmosphère en évolution, et devient plus tard cette année‑là un membre actif du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
En 1992, le Canada ratifie la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
En 1998, le gouvernement fédéral signe le protocole de Kyoto, dans le cadre duquel le Canada doit réduire ses émissions annuelles moyennes de gaz à effet de serre pendant la période de 2008 à 2012 de 6 % par rapport au niveau de 1990.
En 2010, après avoir signé l’Accord de Copenhague, le gouvernement du Canada s’engage à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 17 % par rapport aux niveaux de 2005 au plus tard en 2020.
En 2016, aux termes de l’Accord de Paris, le gouvernement du Canada s’engage à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.
En 2021, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité confirme l’engagement du pays à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
En 2022, le Plan de réduction des émissions pour 2030 est publié conformément à la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité.
L’échéance pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de 40 % à 45 % sous le niveau de 2005 est 2030.
L’échéance pour atteindre la carboneutralité est 2050.
2.2 Dans son rapport intitulé « Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité — Plan de réduction des émissions pour 2030 » des Rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable de 2023, le commissaire à l’environnement et au développement durable rapportait que le gouvernement fédéral n’était pas en voie d’atteindre son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % sous le niveau de 2005 d’ici 2030. Le gouvernement du Canada doit donc accélérer la mise en place de mesures pour contribuer à prévenir des changements climatiques irréversibles et potentiellement dommageables pour l’humanité.
2.3 Une façon de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre est de réduire les émissions associées aux matériaux de construction. En effet, la production de matériaux de construction comme l’acier, le béton et l’aluminium est responsable à elle seule de 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le gouvernement du Canada, l’un des plus importants acheteurs publics de biens et de services au Canada et un bailleur de fonds pour des projets d’infrastructure publique, peut stimuler la transformation du marché des matériaux de construction.
2.4 La transformation du marché consiste en une série d’interventions stratégiques visant à provoquer des changements durables à la structure ou à la fonction d’un marché, ou encore au comportement des participantes et des participants, pour accélérer l’adoption de nouvelles technologies. Une transformation réussie du marché requiert donc la participation active des industries concernées. Les achats directs et les programmes de financement des administrations publiques sont des outils de transformation du marché que les gouvernements peuvent utiliser pour motiver une telle participation active.
2.5 Les dépenses publiques en infrastructures sont un moyen de favoriser l’écologisation des matériaux de construction. En effet, en 2021, les administrations publiques étaient responsables d’environ 76 % des 108 milliards de dollars dépensés en infrastructures, dont 8 % provenaient directement de la dépense fédérale. Les administrations publiques se sont aussi engagées à dépenser des centaines de milliards de dollars supplémentaires au cours des prochaines années. Par exemple, le budget 2023 du gouvernement de l’Ontario prévoit des dépenses de 184,4 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années, alors que le Plan québécois des infrastructures 2023‑2033 prévoit des dépenses de 150 milliards de dollars.
2.6 En mars 2022, dans son Plan de réduction des émissions pour 2030 : Prochaines étapes du Canada pour un air pur et une économie forte, le gouvernement fédéral énonçait par ailleurs son engagement à élaborer une nouvelle Stratégie d’achat propre pour les investissements fédéraux. L’objectif de ce plan est de soutenir et de prioriser l’utilisation de produits canadiens à faible teneur en carbone dans les projets d’infrastructure au pays. Le ministre des Ressources naturelles, le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités et le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement sont responsables de l’élaboration de cette stratégie.
2.7 Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada — Le Secrétariat élabore les directives et les normes qui appuient la Politique d’achats écologiques de 2006, y compris les mesures de performance. Le Secrétariat dirige aussi la Stratégie pour un gouvernement vert, qui vise à acheter des biens et des services écologiques pour faciliter la transition vers une économie à intensité carbonique moindre.
2.8 Services publics et Approvisionnement Canada — Le Ministère facilite les activités quotidiennes des ministères et organismes fédéraux en agissant notamment comme acheteur central et fournisseur de services communs :
- À titre d’acheteur central du gouvernement du Canada, le Ministère gère l’approvisionnement en biens et en services au nom des ministères et organismes fédéraux.
- Le Ministère appuie la mise en œuvre de la Politique d’achats écologiques de 2006, qui intègre des facteurs liés à la performance environnementale dans les activités d’approvisionnement, de planification et d’achats. Le Ministère doit tenir compte de la performance environnementale pendant tout le cycle de vie du produit acheté.
- Les Services immobiliers du Ministère fournissent des services de gestion immobilière et de soutien au gouvernement, assurant l’utilisation et la valorisation optimale des actifs immobiliers tout en s’efforçant de réduire l’empreinte environnementale des propriétés gouvernementales.
2.9 Ressources naturelles Canada — Sur les sujets touchant son mandat, notamment l’efficacité énergétique et les technologies d’énergie propre, le Ministère est responsable de la prestation de conseils, notamment au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, en vue d’aider les organismes à élaborer des politiques en matière d’écologisation. Le Ministère mène aussi l’élaboration conjointe de la Stratégie d’achat propre, et il travaillera de concert avec les autres ministères et organismes fédéraux concernés pour la mettre en œuvre si elle est approuvée par le Cabinet.
2.10 Infrastructure Canada — Le Ministère réalise des investissements importants en infrastructures publiques par l’entremise de ses programmes de financement, établit des partenariats public‑privé et élabore des politiques. Dans le cadre de cet audit, le Ministère collabore avec Ressources naturelles Canada et Services publics et Approvisionnement Canada pour élaborer une Stratégie d’achat propre dans le but de promouvoir l’utilisation de produits à faible teneur en carbone fabriqués au Canada dans les projets d’infrastructure.
Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation
Source : Nations UniesNote de bas de page 1
Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
Source : Nations Unies
2.11 En 2015, le Canada s’est engagé à réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. Ce programme comprend les objectifs « Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation » (objectif 9) et « Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions » (objectif 13). La Stratégie fédérale de développement durable 2022 à 2026 s’harmonise avec les objectifs de développement durable afin que les organisations fédérales contribuent à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies dans leur domaine de compétence.
Objet de l’audit
2.12 Cet audit visait à déterminer si Services publics et Approvisionnement Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Ressources naturelles Canada avaient utilisé efficacement le pouvoir d’achatDéfinition 1 du gouvernement fédéral pour appuyer et privilégier les matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèqueDéfinition 2, y compris l’acier, l’aluminium et le béton, dans les projets d’infrastructures publiques pour soutenir la protection de l’environnement et le développement durable. Il visait également à déterminer si Infrastructure Canada avait efficacement utilisé ses programmes de financement pour atteindre ce même objectif.
2.13 Cet audit est important parce qu’il est estimé que les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction et aux matériaux de construction représentent 11 % des émissions totales au Canada. Les sommes dépensées par le gouvernement fédéral dans les infrastructures publiques lui permettent de démontrer le rôle de chef de file que le Canada souhaite jouer en matière d’environnement. Elles lui permettent notamment de réduire les émissions de ses activités, comme il s’est engagé à le faire, et d’aider l’industrie à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, contribuant ainsi aux objectifs climatiques de 2030 et de carboneutralité de 2050 du Canada.
2.14 La section intitulée À propos de l’audit, à la fin du présent rapport, donne des précisions sur l’objectif, l’étendue, la méthode et les critères de l’audit.
Constatations et recommandations
Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Services publics et Approvisionnement Canada avaient tardé à favoriser les matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque dans les infrastructures appartenant au gouvernement fédéral
2.15 Cette constatation est importante parce que l’approvisionnement public fédéral est l’outil sur lequel le gouvernement du Canada exerce le plus de contrôle pour réaliser les objectifs liés au carbone intrinsèque de sa Politique d’achats écologiques. Compte tenu de l’urgence climatique, tout délai dans l’utilisation de cet outil retarde l’adoption généralisée de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque, leur substitution ou la réduction des quantités requises dans les infrastructures publiques fédérales et compromet la contribution de l’approvisionnement public aux objectifs climatiques du Canada.
2.16 La Politique d’achats écologiques a été mise en place en 2006 sous la responsabilité de Services publics et Approvisionnement Canada et requiert que les administratrices générales et administrateurs générauxDéfinition 3 intègrent des facteurs environnementaux à leur processus d’achat. Cette politique a été transférée au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada en 2016, peu après la création de son Centre pour un gouvernement vert.
2.17 Dans cette Politique, le gouvernement fédéral énonce son ambition de faire preuve d’esprit de leadership dans le secteur environnemental. Il précise vouloir inciter l’industrie et les citoyennes et citoyens à utiliser des biens, des services et des processus résilients aux changements climatiques et qui doivent être privilégiés du point de vue environnemental. Il précise aussi vouloir stimuler l’esprit d’innovation et le développement de marchés et de la demande relativement aux biens et aux services à privilégier du point de vue environnemental de manière à les rendre disponibles et courants dans d’autres secteurs de la société.
2.18 Pour atteindre ses objectifs, le gouvernement indique vouloir utiliser ses activités en matière d’achats comme levier pour réduire les coûts des biens et des services à privilégier du point de vue environnemental. Il précise également qu’il souhaite renforcer les marchés et les industries écologiques.
2.19 En octobre 2023, la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux a d’ailleurs été modifiée de manière à exiger que la ou le ministre tienne compte de toute réduction potentielle des émissions de gaz à effet de serre et de tout autre avantage pour l’environnement lors de l’élaboration des exigences visant la construction, l’entretien et la réparation des ouvrages publics, des immeubles fédéraux et des biens réels fédéraux, et qu’elle ou il puisse autoriser l’utilisation du bois ou de toute autre chose, notamment de matériel, de produits ou de ressources durables, qui offrent pareil avantage.
2.20 Les émissions de carbone des infrastructures construites sont divisées en deux catégories principales : le carbone intrinsèque (voir le paragraphe 2.12 pour obtenir la définition) et le carbone opérationnelDéfinition 4. Dans le cas de certaines infrastructures, comme les bâtiments, les émissions sont à la fois opérationnelles et intrinsèques. Les infrastructures comme les ponts, les routes et les égouts produisent principalement des émissions de carbone intrinsèque. Il est donc possible de diminuer les émissions associées à une infrastructure en réduisant soit son carbone intrinsèque, soit son carbone opérationnel, ou un peu des deux. La réduction maximale des émissions d’une infrastructure est toutefois impossible si le carbone intrinsèque et le carbone opérationnel ne sont pas tous les deux réduits.
2.21 Il demeure possible de réduire le carbone opérationnel d’une infrastructure même après sa construction, notamment au moyen d’un approvisionnement en électricité renouvelable et de la modernisation des systèmes d’éclairage, de chauffage et de ventilation. Le carbone intrinsèque d’une infrastructure, en revanche, est essentiellement irréversible une fois la construction achevée. Il est toutefois possible d’atteindre des réductions relatives, par exemple, lors de réparations et de rénovations. Ainsi, les phases d’approvisionnement et de construction constituent les seules occasions de réduire de manière significative le carbone intrinsèque des infrastructures construites; autrement, le carbone est « verrouillé » pour la durée de vie de l’infrastructure.
2.22 Au cours des dernières décennies, les gouvernements et le secteur privé se sont surtout efforcés de réduire le carbone opérationnel des infrastructures. Des données, des normes, des certifications et des outils ont été mis au point pour réduire le carbone opérationnel. Notons par exemple les certifications Leadership in Energy and Environmental Design, ou LEED®, et ENERGY STAR® pour les bâtiments, ou encore des programmes pour en améliorer l’efficacité énergétique comme les Stratégies de transformation du marché pour l’équipement consommateur d’énergie dans le secteur du bâtiment, publiées en 2017 par les ministres de l’Énergie et des Mines fédéral, provinciaux et territoriaux.
2.23 Des solutions pour réduire le carbone intrinsèque des matériaux de construction existent pourtant depuis longtemps. Par exemple, l’empreinte carbone du ciment Portland au calcaire est, en moyenne, de 10 % inférieure à celle du ciment classique, et il garde des propriétés de force et de durabilité équivalentes. Ce type de ciment est largement utilisé depuis plus de 35 ans en Europe. Au Canada, le ciment Portland au calcaire a été intégré dans les normes sur les matériaux en béton dès 2009, alors qu’aux États‑Unis, il est utilisé par certains États dans la chaussée des autoroutes depuis 2007.
2.24 De plus, des conceptions novatrices qui permettent de réduire la quantité de matériaux utilisés, de réutiliser des matériaux existants ou de substituer des matériaux de construction, par exemple en remplaçant l’acier par du bois d’ingénierie, permettent de réduire de façon efficace la teneur en carbone intrinsèque des infrastructures.
2.25 À l’échelle internationale, certaines administrations publiques ont déjà pris des mesures pour réduire le carbone intrinsèque des matériaux de construction. Dès 2012, par exemple, le ministère responsable des infrastructures et de la gestion des eaux des Pays‑Bas mettait au point DuboCalc, un outil qui détermine entre autres la teneur en carbone intrinsèque des matériaux de construction. Ainsi, ce ministère peut offrir des incitatifs financiers aux entrepreneurs afin qu’ils sélectionnent des matériaux à faible teneur en carbone intrinsèque lors de la phase de conception. En outre, en 2017, la Californie a adopté une loi sur l’approvisionnement écologique (la Buy Clean California Act) selon laquelle les fournisseurs doivent fournir, depuis 2019, des déclarations environnementales de produits pour certains matériaux de construction comme l’acier structurel, les panneaux de verre et des produits d’isolation utilisés dans les projets d’infrastructure publique. En 2022, l’État mettait en place des plafonds de carbone pour certains matériaux de construction.
Le carbone intrinsèque non pris en compte avant 2016
2.26 Nous avons constaté qu’entre la publication initiale de la Politique d’achats écologiques en 2006 et son transfert au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada en 2016, Services publics et Approvisionnement Canada n’avait pris aucune mesure visant à stimuler l’esprit d’innovation, le développement de marchés et la demande pour des matériaux à faible teneur en carbone intrinsèque. Cela représentait une occasion manquée de contribuer à l’adoption à grande échelle de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque et compliquait l’atteinte des objectifs climatiques du Canada.
2.27 Au cours de la décennie de 2006 à 2016, pourtant, le gouvernement fédéral a dépensé environ 4,2 milliards de dollars, selon Statistique Canada, pour acquérir ou rénover des infrastructures publiques fédérales. Nous avons noté qu’au cours de cette période, Services publics et Approvisionnement Canada avait progressé dans la réduction des émissions de carbone opérationnel des infrastructures publiques fédérales. Toutefois, nous n’avons pris connaissance d’aucun document permettant de constater que des efforts similaires avaient été entrepris pour réduire la teneur en carbone intrinsèque des matériaux de construction des infrastructures. Pourtant, afin de réduire le plus possible les émissions d’une infrastructure, il faut à la fois réduire le carbone intrinsèque et le carbone opérationnel. Nous avons noté que chaque infrastructure construite sans égard pour le carbone intrinsèque représente une occasion manquée de contribuer à la réduction des gaz à effet de serre.
Des progrès insuffisants depuis 2017
2.28 Nous avons constaté que depuis 2017, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, par l’entremise de son Centre pour un gouvernement vert, avait progressivement mis en place des mesures visant à inciter la réduction de la teneur en carbone intrinsèque des matériaux de construction. En 2017, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada publiait la première version de sa Stratégie pour un gouvernement vert ayant pour objectif de « réduire au minimum le carbone intrinsèque » des matériaux de construction de biens immobiliers du gouvernement.
2.29 Nous avons constaté qu’au moment de cette publication, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ne possédait pas les données nécessaires pour mesurer la teneur en carbone intrinsèque des biens immobiliers du gouvernement. En conséquence, cette première stratégie ne pouvait fixer d’objectif quantitatif de réduction du carbone intrinsèque; elle servait à signaler aux parties prenantes que le carbone intrinsèque était maintenant sur le radar du gouvernement fédéral. Pour combler le manque de données, le Secrétariat a travaillé avec le Centre national de recherches du Canada pour élaborer, entre 2019 et le milieu de l’année 2022, l’initiative Sobriété en carbone par l’analyse du cycle de vie afin de rassembler les données nécessaires à la création de seuils de réduction quantitatifs de carbone intrinsèque.
2.30 En 2020, le Centre pour un gouvernement vert a mis à jour la Stratégie pour un gouvernement vert afin d’y intégrer des objectifs plus clairs et quantifiables :
- divulguer, d’ici 2022, la quantité de carbone intrinsèque dans les matériaux structuraux des grands projets de construction en fonction de l’intensité carbonique des matériaux ou d’une analyse de leur cycle de vie;
- réduire de 30 %, à compter de 2025, le carbone intrinsèque des matériaux structuraux des grands projets de construction en utilisant des matériaux recyclés et à plus faible teneur en carbone, l’efficacité des matériaux et des normes de conception axées sur le rendement;
- réaliser, d’ici 2025 au plus tard, des analyses intégrées du cycle de vie des immeubles (ou des biens) pour les grands projets de construction et d’infrastructure.
2.31 Nous avons constaté que le premier objectif de la Stratégie, soit la divulgation, d’ici 2022, de la quantité de carbone intrinsèque dans les matériaux structuraux des grands projets de construction, n’avait pas été atteint en 2022. En décembre 2022, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a mis en place la Norme sur le carbone intrinsèque en construction, qui impose aux ministères identifiés dans la Politique d’achats écologiques de divulguer et de réduire le carbone intrinsèque du béton prêt à l’emploi pour toutes les nouvelles constructions ou rénovations de biens immobiliers au Canada dont la valeur est supérieure à 10 millions de dollars. La Stratégie a été mise à jour en septembre 2023 pour retirer la date butoir de 2022, puisque la norme était maintenant en place.
2.32 Plus précisément, la Norme sur le carbone intrinsèque en construction exige une réduction de 10 % du carbone intrinsèque du béton prêt à l’emploi utilisé dans les projets d’infrastructures, par rapport à la moyenne régionale pour les infrastructures fédérales. Comme la Norme est entrée en vigueur le 31 décembre 2022 et que la réalisation des projets d’infrastructure s’étend sur plusieurs années, les responsables au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada nous ont signalé que la divulgation publique de la réduction du carbone intrinsèque du béton prêt à l’emploi commencera en 2024‑2025.
2.33 Nous avons noté qu’il est indispensable de disposer de quelques années de données de qualité sur le carbone intrinsèque des matériaux de construction structuraux pour pouvoir évaluer l’efficacité de la Norme. À notre avis, dans le scénario actuel, il pourrait être difficile pour le Centre pour un gouvernement vert de recueillir suffisamment de renseignements sur le carbone intrinsèque des matériaux structuraux des grands projets de construction avant 2025.
2.34 Nous avons aussi constaté que la Stratégie pour un gouvernement vert cible les « matériaux structuraux de grands projets de construction » alors que la Norme, dans sa version de 2022, ne s’applique pour l’instant qu’au béton prêt à l’emploi. Pourtant, en plus du béton, l’acier, largement utilisé dans les grands projets de construction et reconnu pour son importante teneur en carbone intrinsèque, est également un matériau de construction structurel. Contrairement aux objectifs fixés dans la Stratégie, la Norme du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada n’exploite pas le potentiel de réduction du carbone intrinsèque de l’acier.
2.35 Le Secrétariat nous a informés qu’il tient actuellement des discussions avec l’industrie de l’acier au Canada et qu’il recueille des renseignements visant à explorer une façon d’intégrer l’acier à la Norme. L’inclusion de l’acier dans la Norme signifierait que le Secrétariat serait en mesure d’établir le niveau de référence du carbone intrinsèque associé à l’acier dans les infrastructures publiques puis d’exiger des réductions par rapport à ce niveau de référence.
2.36 Une discussion active entre l’industrie de l’acier et le Secrétariat est indispensable pour que ce dernier puisse obtenir en temps opportun les données nécessaires à l’ajout de l’acier à la Norme. Cependant, nous avons constaté qu’aucune date n’était fixée pour cette intégration. Or, tout retard relatif à l’inclusion de l’acier à la Norme sur le carbone intrinsèque en construction ralentit l’adoption de l’acier à faible teneur en carbone intrinsèque par le marché et nuit à l’atteinte des objectifs climatiques à court terme du Canada, notamment celui de 2030.
2.37 En 2022, Ressources naturelles Canada a indiqué que 22 % de l’aluminium produit à l’échelle mondiale était utilisé en construction, principalement pour les gratte‑ciel et les ponts. La Norme sur le carbone intrinsèque en construction du Secrétariat vise pour le moment les produits de construction en béton, et le Secrétariat cherche à y ajouter les produits de construction en acier. Ces deux matériaux sont particulièrement néfastes pour l’environnement. Dans sa Stratégie pour un gouvernement vert, le Secrétariat s’est engagé à élaborer une analyse du cycle de vie de l’ensemble du bâtiment d’ici 2025. Si cet engagement se concrétise, l’analyse du cycle de vie des bâtiments devrait permettre de réduire les émissions associées à tous les matériaux de construction qui ont une incidence sur le carbone intrinsèque d’une infrastructure, en plus du béton et de l’acier. Concrètement, l’analyse du cycle de vie des bâtiments déterminerait la contribution de l’aluminium à l’empreinte carbone.
2.38 Nous avons constaté que, comme l’exige la Politique d’achats écologiques, Ressources naturelles Canada avait collaboré avec les autres ministères en offrant son expertise. Par exemple, le Ministère avait appuyé Services publics et Approvisionnement Canada lors de l’analyse pour la création d’un outil de recherche de produits verts pour l’approvisionnement en menant une analyse des outils existants. Toutefois, nous avons noté que l’expertise de Ressources naturelles Canada se confinait principalement à l’efficacité énergétique et, par conséquent, au carbone opérationnel. En même temps, nous avons constaté que pendant la période d’audit, les responsabilités de Ressources naturelles Canada avaient évolué de façon à se concentrer plus particulièrement sur la question du carbone intrinsèque. En conséquence, Ressources naturelles Canada développait activement son expertise en la matière.
2.39 Pour respecter ses engagements dans le cadre de la Stratégie pour un gouvernement vert et optimiser la contribution de la Stratégie à l’atteinte des objectifs climatiques de 2030, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada devrait rapidement déterminer quels matériaux de construction structuraux, tels que l’acier, doivent être inclus dans la Norme sur le carbone intrinsèque en construction.
Réponse du Ministère — Recommandation acceptée.
Les réponses détaillées se trouvent dans les Recommandations et réponses à la fin du présent rapport.
Pas de considération systématique du carbone intrinsèque
2.40 Selon la Politique d’achats écologiques, Services publics et Approvisionnement Canada doit « inclur[e] des options privilégiées sur le plan environnemental (c’est‑à‑dire, qui ont une incidence moindre ou réduite sur l’environnement au cours du cycle de vie du bien ou du service, comparativement aux biens et aux services concurrents qui ont la même utilité) dans les services d’approvisionnement offerts aux ministères clients dans la mesure du possible ». Nous avons constaté que le Ministère n’avait pas d’approche systématique et standardisée pour cerner des options de réduction du carbone intrinsèque associé aux projets immobiliers du gouvernement fédéral.
2.41 Durant le processus d’approvisionnement d’une infrastructure publique par Services publics et Approvisionnement Canada, les fonctionnaires du Ministère évalueront les plans de conception de l’infrastructure pour s’assurer qu’ils respectent les exigences minimales attendues.
2.42 Le Ministère nous a informés qu’il ne suit pas un processus systématique et standardisé pour la remise en question des ébauches soumises par les expertes‑conseils et experts‑conseils en ce qui a trait au carbone intrinsèque. Une telle approche permettrait au Ministère de cerner, de manière uniforme à travers les projets proposés, les possibilités de réduction du carbone intrinsèque dans le parc immobilier du gouvernement fédéral. Bien que nous ayons examiné une ébauche qui a été révisée pour réduire l’empreinte de carbone intrinsèque de façon significative, l’absence d’un processus systématique et standardisé de remise en question des ébauches peut nuire aux efforts du Ministère visant à réduire le plus possible le carbone intrinsèque dans les futurs projets d’infrastructures.
2.43 Pour mieux assumer ses responsabilités à l’égard de la Politique d’achats écologiques de 2006 et améliorer sa capacité à proposer des options à privilégier sur le plan environnemental, Services publics et Approvisionnement Canada devrait élaborer et mettre en œuvre une approche systématique et standardisée de remise en question des ébauches soumises par les expertes‑conseils et experts‑conseils qui comprendrait des critères permettant au Ministère de mesurer l’efficacité de la remise en question en ce qui concerne les possibilités de réduction du carbone intrinsèque dans les projets immobiliers du gouvernement fédéral.
Réponse du Ministère — Recommandation acceptée.
Les réponses détaillées se trouvent dans les Recommandations et réponses à la fin du présent rapport.
Infrastructure Canada avait inclus des considérations liées au carbone intrinsèque dans ses programmes de financement de façon limitée, ce qui restreignait sa contribution aux objectifs environnementaux du gouvernement pour 2030
2.44 Cette constatation est importante parce que les programmes de financement fédéraux constituent l’un des instruments importants dont dispose le gouvernement pour mettre de l’avant ses objectifs et priorités. Étant donné l’importance de collaborer avec les autres ordres de gouvernement pour encourager l’écologisation rapide de l’industrie des matériaux de construction, la prise en compte insuffisante du carbone intrinsèque dans les programmes de financement se solde en une occasion manquée de contribuer aux efforts pangouvernementaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atteindre les objectifs climatiques de 2030.
2.45 Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Canada possède l’un des systèmes d’approvisionnement publics les plus décentralisés au monde. En 2019, les dépenses d’approvisionnement du gouvernement fédéral représentaient seulement 12 % des dépenses totales effectuées par tous les ordres de gouvernement au Canada, alors que cette proportion allait jusqu’à 80 % dans d’autres pays membres de l’Organisation. La majorité des dépenses d’infrastructures publiques canadiennes concernait notamment des projets gérés par les administrations provinciales, territoriales et municipales. En 2021, alors que les dépenses d’infrastructures fédérales étaient de 8 milliards de dollars, les dépenses d’infrastructures des provinces, des territoires et des municipalités atteignaient 74 milliards de dollars (voir la pièce 2.2).
Pièce 2.2 — Dépenses en infrastructures au Canada en 2021 (en milliards de dollars)
Source : D’après des données de Statistique Canada
Pièce 2.2 — version textuelle
On compare dans cette pièce les dépenses en infrastructures en 2021 faites par les différents ordres de gouvernement et par le secteur privé au Canada. Les dépenses en infrastructures des gouvernements provinciaux et territoriaux ont été les plus élevées, tandis que celles du gouvernement fédéral ont été les moins élevées. Le secteur privé et les gouvernements locaux et régionaux ont dépensé des sommes semblables.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont dépensé 48 milliards de dollars, soit 44 % des dépenses totales.
Le secteur privé a dépensé 26,1 milliards de dollars, soit 24 % des dépenses totales.
Les gouvernements locaux et régionaux ont dépensé 25,7 milliards de dollars, soit 24 % des dépenses totales.
Le gouvernement fédéral a dépensé 8,3 milliards de dollars, soit 8 % des dépenses totales.
2.46 Par l’entremise de programmes de transferts, Infrastructure Canada fournit un financement important aux administrations provinciales, territoriales et municipales pour soutenir les infrastructures publiques qui facilitent le transport, le logement, la résilience aux changements climatiques et la vie dans les collectivités rurales et nordiques. De 2014 à 2023, Infrastructure Canada a approuvé plus de 46 milliards de dollars en contributions fédérales pour financer des projets d’infrastructure au pays.
2.47 Infrastructure Canada utilise principalement deux approches de prestation pour gérer les fonds avec ses partenaires de programmes. Tout d’abord, dans les programmes axés sur l’allocation, le Ministère s’appuie sur les provinces et les territoires pour cerner des projets, soumettre des demandes et distribuer les fonds fédéraux aux bénéficiaires finaux. Dans le cadre des programmes de financement direct, par contre, les demandes sont directement soumises au Ministère, qui approuve les projets selon les exigences d’admissibilité et de mérite du programme. Les programmes de financement direct assurent plus de contrôle au gouvernement fédéral dans le choix des projets auxquels accorder la priorité.
2.48 Au fil des années, Infrastructure Canada a assumé des responsabilités accrues par rapport aux objectifs du gouvernement fédéral en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (voir la pièce 2.3).
Pièce 2.3 — Évolution des responsabilités climatiques d’Infrastructure Canada
2008 |
Politique sur les paiements de transfert | Les ministères chargés de la mise en œuvre de paiements de transfert, dont Infrastructure Canada, doivent concevoir et mettre en œuvre des programmes en tenant compte des priorités du gouvernement, y compris de ses engagements climatiques. |
2017 |
Rapport sur les résultats ministériels 2016‑2017 | Infrastructure Canada souligne pour la première fois qu’un de ses grands objectifs consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre. |
2019 |
Lettre de mandat de la ministre de l’Infrastructure et des Collectivités | Infrastructure Canada a reçu le mandat de travailler avec la Fédération canadienne des municipalités par l’entremise du Fonds municipal vert afin de surveiller les investissements et de veiller à ce que ceux‑ci réduisent les émissions générées par les immeubles résidentiels, commerciaux et à logements multiples. |
2020 |
Loi fédérale sur le développement durable | Conformément à cette loi, Infrastructure Canada doit adhérer aux principes de la Stratégie fédérale de développement durable 2022‑2026. Celle‑ci vise à « favoriser l’innovation et les infrastructures vertes au Canada » pour contribuer, d’ici 2030, à l’avancement de l’objectif 9 (Industrie, innovation et infrastructure) des Objectifs de développement durable des Nations Unies, soit « Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation ». |
Source : Diverses sources du gouvernement fédéral
2.49 En 2018, Infrastructure Canada lançait l’Optique des changements climatiques, un outil qui vise à promouvoir et à permettre l’estimation de la réduction prévue des émissions de gaz à effet de serre ainsi que l’évaluation des risques associés aux changements climatiques et des résultats en matière de résilience climatique. Les constatations du commissaire à l’environnement et au développement durable concernant l’Optique des changements climatiques figurent dans le rapport 4, « Le financement d’infrastructures adaptées au climat — Infrastructure Canada », présenté dans le cadre des Rapports du commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada de 2022.
2.50 En 2021, Infrastructure Canada a reçu le mandat explicite de soutenir les efforts pangouvernementaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui comprend le carbone intrinsèque. Plus particulièrement, le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a reçu le mandat de collaborer avec le ministre des Ressources naturelles et la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement « pour élaborer une nouvelle stratégie favorisant l’achat de produits propres afin de promouvoir l’utilisation de produits à faible teneur en carbone fabriqués au Canada dans les projets d’infrastructure ».
2.51 Les stratégies favorisant l’achat de produits à faible teneur en carbone, qui visent la transformation du marché, ont connu une popularité accrue au cours des dernières années. En février 2022, le gouvernement américain a annoncé la création de la Federal Buy Clean Initiative and Task Force, qui vise à accorder la priorité aux matériaux de construction fabriqués aux États‑Unis et à faible teneur en carbone dans les achats fédéraux ainsi que dans les projets financés par le gouvernement fédéral. En mars 2023, ce même gouvernement annonçait un partenariat avec 12 États, qui s’engageaient à accorder la priorité aux matériaux de construction à faible teneur en carbone dans les projets qu’ils financent. En décembre 2023, la General Services Administration a annoncé un investissement de 2 milliards de dollars pour appuyer plus de 150 projets de construction fédéraux qui utilisent des matériaux à faible teneur en carbone.
Peu de mesures favorisant les matériaux de construction à faible empreinte carbone
2.52 Nous avons constaté qu’Infrastructure Canada n’avait pas annoncé de nouveaux programmes depuis l’obtention de la lettre de mandat en décembre 2021, ce qui limitait ses occasions de remplir de façon explicite son mandat de soutenir les efforts pangouvernementaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment le carbone intrinsèque.
2.53 Nous avons aussi constaté qu’Infrastructure Canada avait intégré des critères liés à la réduction du carbone intrinsèque dans une petite partie d’un seul programme de financement existant, à savoir les projets de nouveaux bâtiments du deuxième volet du Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs (voir la pièce 2.4). Ce programme représente une enveloppe de 1,5 milliard de dollars, qui peuvent être distribués sur une période de 5 ans aux projets de rénovation et de nouveaux bâtiments. D’après les données fournies par le Ministère, à la fin de la période visée par l’audit, 279 millions de dollars provenant de cette enveloppe avaient été approuvés publiquement pour 25 projets de nouveaux bâtiments. La grande majorité des projets approuvés exigeaient la production d’un rapport sur la quantité de carbone intrinsèque, et 2 d’entre eux contenaient, en plus, des exigences de réduction du carbone intrinsèque. Dans le cadre de ce programme, 1 projet situé en région nordique demandait une exemption des exigences en matière de carbone intrinsèque compte tenu des contraintes géographiques.
Pièce 2.4 — Le Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs
Dans le cadre du deuxième volet du Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs, annoncé en décembre 2022, Infrastructure Canada exige que les projets de nouveaux bâtiments soient conformes à la Norme du bâtiment à carbone zéro — Design, version 3. Cette norme, mise en place par le Conseil du bâtiment durable du Canada en juin 2022, exige une réduction de 10 % du carbone intrinsèque par rapport au bâtiment de référence ou un plafond de l’intensité du carbone intrinsèque absolue.
Auparavant, Infrastructure Canada exigeait que les projets de nouveaux bâtiments soumis avant le 29 septembre 2022 soient conformes à la Norme du bâtiment à carbone zéro — Design, version 2. Cette norme exigeait seulement un rapport sur le carbone intrinsèque.
2.54 De plus, nous avons constaté que cette exigence du deuxième volet du Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs ne permettait pas au Ministère de recueillir des données sur les matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque. Cela est dû au fait que la Norme du bâtiment à carbone zéro — Design, version 3 est administrée par le Conseil du bâtiment durable du Canada, qui reçoit les analyses soumises par le demandeur pour prouver la conformité de son projet à la Norme. De ce fait, Infrastructure Canada ne reçoit ni les données ni les analyses sur le carbone intrinsèque du projet. Le Ministère reconnaît pourtant que le manque de données est un élément clé freinant l’avancement de son travail sur la réduction du carbone intrinsèque.
2.55 Néanmoins, nous avons constaté qu’Infrastructure Canada avait tenté d’encourager la divulgation de données sur le carbone intrinsèque dans le cadre des projets assujettis à l’exigence de l’Optique des changements climatiques. En décembre 2023, Infrastructure Canada a d’ailleurs ajouté une référence explicite aux matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque dans les lignes directrices de l’Optique des changements climatiques. Cependant, la quantité des données recueillies dépend entièrement de la volonté des demandeurs puisque la divulgation est purement volontaire et que les programmes qui appliquent l’Optique des changements climatiques ne sont pas tenus de respecter des exigences par rapport au carbone intrinsèque.
2.56 Nous avons aussi constaté qu’Infrastructure Canada n’avait pas encore inclus de considérations associées au carbone intrinsèque dans un plus large éventail de programmes de financement et que le Ministère n’avait pas encore utilisé les outils élaborés par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada qui s’appuient sur les travaux du Conseil national de recherches Canada.
2.57 En 2019, Infrastructure Canada, en collaboration avec le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada, a fourni du financement au Conseil national de recherches Canada pour lui permettre de diriger l’initiative Sobriété en carbone par l’analyse du cycle de vie. Dans le cadre de cette initiative, le Conseil national de recherches Canada a produit des extrants, notamment des données visant l’établissement de seuils quantitatifs de réduction du carbone intrinsèque, qui ont appuyé l’élaboration de la Norme sur le carbone intrinsèque en construction du Secrétariat de 2022. Toutefois, les responsables d’Infrastructure Canada nous ont indiqué devoir approfondir leur compréhension quant à l’incidence de l’ajout d’exigences relatives au carbone intrinsèque sur les demandeurs (par exemple leur capacité de respecter les exigences) et sur les projets devant être financés (par exemple coûts, calendrier) avant de pouvoir inclure de telles exigences aux programmes de financement à venir.
2.58 À cette fin, Infrastructure Canada a indiqué qu’il souhaitait tirer des leçons de la mise en œuvre de la Norme dans le cadre des projets de construction fédéraux en vue d’éclairer sa propre stratégie de mise en œuvre. De plus, en septembre 2023, le Ministère a commandé une analyse indépendante sur les disponibilités régionales, la performance et les coûts des matériaux de construction à faible teneur en carbone. Le rapport issu de ce contrat indépendant est attendu en juin 2024 et éclairera aussi l’approche proposée en ce qui concerne l’intégration de considérations associées au carbone intrinsèque dans les futurs programmes de financement. Toutefois, Infrastructure Canada n’a pas fourni de délai ou d’échéancier pour l’intégration de ces considérations dans un éventail plus vaste de programmes de financement.
2.59 À notre avis, il est possible d’inclure dans des programmes de financement des incitatifs financiers à l’utilisation de matériaux à faible teneur en carbone intrinsèque qui pourraient bénéficier aux demandeurs qui choisiraient d’en profiter sans pour autant pénaliser ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s’en prévaloir. Certains pays, notamment les États‑Unis, utilisent cet outil (voir la pièce 2.5). Dans d’autres contextes, par exemple en matière d’efficacité énergétique, de telles mesures incitatives ont régulièrement été utilisées pour stimuler l’adoption de produits favorables du point de vue environnemental. Ces mesures incitatives pourraient accélérer l’adoption de matériaux à faible teneur en carbone intrinsèque et permettre au Ministère de jouer un rôle d’influence.
Pièce 2.5 — Exemples de mesures incitatives offertes par le gouvernement fédéral des États‑Unis
En mars 2023, la Federal Emergency Management Agency, soit l’agence fédérale responsable de la gestion des catastrophes aux États‑Unis, a annoncé qu’elle accorderait des fonds supplémentaires aux États après une catastrophe dans le but d’encourager une reconstruction à faibles émissions de carbone. Ces fonds supplémentaires aideront à couvrir les coûts supplémentaires liés à l’achat de matériaux, tels que le béton et l’acier, certifiés à plus faibles émissions de carbone.
Dans le cadre de la loi américaine sur la réduction de l’inflation, une enveloppe de 2 milliards de dollars a été accordée à la Federal Highway Administration pour rembourser les surcoûts des matériaux et des produits à faible teneur en carbone intrinsèque dans les projets de construction ou pour offrir des mesures incitatives aux bénéficiaires admissibles.
2.60 Certains partenaires provinciaux et municipaux ont d’ailleurs signifié leur volonté de collaborer avec le gouvernement du Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des administrations publiques en créant, en 2021, la coalition des Acheteurs pour l’action climatique. Celle‑ci regroupe des acheteurs écologiques de premier plan qui acquièrent un volume important de biens et de services, y compris des biens immobiliers, et qui mènent diverses initiatives visant notamment à élaborer des spécifications d’approvisionnement modèles pour les bâtiments carboneutres et pour les matériaux de construction à faible empreinte carbone.
2.61 Au moment de l’audit, la Stratégie d’achat propre était toujours en cours d’élaboration. Il nous est donc impossible de nous prononcer sur la Stratégie. Nous avons néanmoins examiné certaines des analyses et des éléments pris en compte par les ministères responsables de l’élaboration de la Stratégie, notamment Services publics et Approvisionnement Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Ressources naturelles Canada et Infrastructure Canada. À notre avis, l’analyse effectuée jusqu’à présent prend bien en considération les éléments qui, selon les études, contribuent au succès des stratégies de transformation du marché.
2.62 Afin de soutenir les efforts pangouvernementaux visant à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à faire progresser l’objectif 9 des Objectifs de développement durable des Nations Unies et les objectifs établis dans la Stratégie fédérale de développement durable 2022 à 2026 d’ici 2030, Infrastructure Canada devrait intégrer des considérations relatives à la réduction du carbone intrinsèque dans le plus de programmes de financement possible.
Réponse du Ministère — Recommandation acceptée.
Les réponses détaillées se trouvent dans les Recommandations et réponses à la fin du présent rapport.
Conclusion
2.63 Nous avons conclu que Services Publics et Approvisionnement Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Infrastructure Canada n’avaient pas utilisé le pouvoir d’achat du gouvernement du Canada de façon efficace pour appuyer et privilégier l’utilisation de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque, notamment l’acier, l’aluminium et le béton, dans les projets d’infrastructures publiques afin de soutenir la protection de l’environnement et le développement durable.
2.64 Nous avons cependant conclu que Ressources naturelles Canada remplissait adéquatement son rôle de soutien, en lien avec son expertise en matière de carbone opérationnel, et que le Ministère développait activement son expertise afin d’assumer plus de responsabilités en matière de carbone intrinsèque.
À propos de l’audit
Le présent rapport de certification indépendant sur l’écologisation des matériaux de construction des infrastructures publiques a été préparé par le Bureau du vérificateur général du Canada. Notre responsabilité était de donner de l’information, une assurance et des avis objectifs au Parlement en vue de l’aider à examiner soigneusement la gestion que fait le gouvernement des ressources et des programmes et d’exprimer une conclusion quant à la conformité de l’écologisation des matériaux de construction des infrastructures publiques, dans tous ses aspects importants, aux critères applicables.
Tous les travaux effectués dans le cadre du présent audit ont été réalisés à un niveau d’assurance raisonnable conformément à la Norme canadienne de missions de certification (NCMC) 3001 — Missions d’appréciation directe de Comptables professionnels agréés du Canada (CPA Canada), qui est présentée dans le Manuel de CPA Canada — Certification.
Le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) applique la Norme canadienne de gestion de la qualité (NCGQ) 1, Gestion de la qualité par les cabinets qui réalisent des audits ou des examens d’états financiers, ou d’autres missions de certification ou de services connexes. Cette norme exige que le BVG conçoive, mette en place et fasse fonctionner un système de gestion de la qualité qui comprend des politiques ou des procédures conformes aux règles de déontologie, aux normes professionnelles et aux exigences légales et réglementaires applicables.
Lors de la réalisation de nos travaux d’audit, nous nous sommes conformés aux règles sur l’indépendance et aux autres règles de déontologie définies dans les codes de déontologie pertinents applicables à l’exercice de l’expertise comptable au Canada, qui reposent sur les principes fondamentaux d’intégrité, d’objectivité, de compétence professionnelle et de diligence, de confidentialité et de conduite professionnelle.
Conformément à notre processus d’audit habituel, nous avons obtenu ce qui suit de la direction de l’entité :
- la confirmation de sa responsabilité à l’égard de l’objet considéré;
- la confirmation que les critères étaient valables pour la mission;
- la confirmation qu’elle nous a fourni toutes les informations dont elle a connaissance et qui lui ont été demandées ou qui pourraient avoir une incidence importante sur les constatations ou la conclusion contenues dans le présent rapport;
- la confirmation que les faits présentés dans le rapport sont exacts.
Objectif de l’audit
L’objectif de l’audit consistait à déterminer si Services publics et Approvisionnement Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Ressources naturelles Canada et Infrastructure Canada avaient efficacement utilisé le pouvoir d’achat du gouvernement du Canada pour appuyer et privilégier l’utilisation de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque, notamment l’acier, l’aluminium et le béton à faible teneur en carbone dans les projets d’infrastructures publiques afin de soutenir la protection de l’environnement et le développement durable.
Étendue et méthode
Au cours de l’audit, nous avons rencontré des responsables et des parties prenantes du Secrétariat du Conseil du Trésor Canada, de Services publics et Approvisionnement Canada, d’Infrastructure Canada et de Ressources naturelles Canada. Nous avons examiné et analysé les documents que les organismes nous ont fournis. Nous avons également analysé les commentaires reçus par les organismes lors de groupes de travail. En outre, nous avons examiné des études de cas sur la façon dont les organismes intégraient des considérations relatives au carbone intrinsèque dans leur processus d’approvisionnement et de financement.
Critères
Pour tirer une conclusion par rapport à l’objectif de notre audit, nous avons utilisé les critères suivants :
Critères | Sources |
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Services publics et Approvisionnement Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Ressources naturelles Canada intègrent des considérations qui privilégient l’achat de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque. |
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Infrastructure Canada, Ressources naturelles Canada et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada proposent des approches pour appuyer l’utilisation de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque dans la conception et la construction des infrastructures publiques par le gouvernement fédéral ou par un autre ordre de gouvernement, mais financés en partie par le gouvernement fédéral afin d’appuyer les objectifs de réduction de gaz à effets de serre du Canada. |
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La mesure de l’utilisation de matériaux de construction à faible teneur en carbone intrinsèque dans les infrastructures publiques construites directement par le gouvernement du Canada ou construites par un autre ordre de gouvernement, mais financées en partie par le gouvernement fédéral est efficace et permet d’évaluer si cette utilisation contribue à l’atteinte des objectifs de développement durable du Canada. |
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Période visée par l’audit
L’audit a porté sur la période allant du 1er décembre 2021 au 29 février 2024. Il s’agit de la période à laquelle s’applique la conclusion de l’audit. Toutefois, afin de mieux comprendre l’objet considéré de l’audit, nous avons aussi examiné certains dossiers antérieurs à cette période.
Date du rapport
Nous avons fini de rassembler les éléments probants suffisants et appropriés à partir desquels nous avons fondé notre conclusion le 20 mars 2024, à Ottawa, au Canada.
Équipe d’audit
L’audit a été réalisé par une équipe multidisciplinaire du Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) dirigée par Susan Gomez, directrice principale. La directrice principale est responsable de la qualité de l’audit dans son ensemble; elle doit s’assurer notamment que les travaux d’audit sont exécutés conformément aux normes professionnelles, aux exigences des textes légaux et réglementaires applicables ainsi qu’aux politiques et au système de gestion de la qualité du BVG.
Recommandations et réponses
Les réponses figurent telles qu’elles ont été reçues par le Bureau du vérificateur général du Canada.
Dans ce tableau, le numéro du paragraphe qui précède la recommandation indique l’emplacement de la recommandation dans le rapport.
Recommandation | Réponse |
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2.39 Pour respecter ses engagements dans le cadre de la Stratégie pour un gouvernement vert et optimiser la contribution de la Stratégie à l’atteinte des objectifs climatiques de 2030, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada devrait rapidement déterminer quels matériaux de construction structuraux, tels que l’acier, doivent être inclus dans la Norme sur le carbone intrinsèque en construction. |
Réponse du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada — Recommandation acceptée. Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada déterminera, d’ici la fin de mars 2025, à quels matériaux structuraux à forte teneur en carbone intrinsèque s’applique la Norme. Le béton est déjà inclus dans la Norme, et le Secrétariat travaille avec des partenaires clés pour examiner la possibilité d’y inclure les produits de construction en acier. |
2.43 Pour mieux assumer ses responsabilités à l’égard de la Politique d’achats écologiques de 2006 et améliorer sa capacité à proposer des options à privilégier sur le plan environnemental, Services publics et Approvisionnement Canada devrait élaborer et mettre en œuvre une approche systématique et standardisée de remise en question des ébauches soumises par les expertes‑conseils et experts‑conseils qui comprendrait des critères permettant au Ministère de mesurer l’efficacité de la remise en question en ce qui concerne les possibilités de réduction du carbone intrinsèque dans les projets immobiliers du gouvernement fédéral. |
Réponse de Services publics et Approvisionnement Canada — Recommandation acceptée. Pour mettre en œuvre cette recommandation, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) achèvera les travaux qu’il a entamés le 31 décembre 2022, lorsque le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) a publié sa nouvelle Norme sur le carbone intrinsèque en construction. SPAC achèvera ces travaux afin que le carbone intrinsèque soit pleinement intégré au processus existant de contrôle de la qualité systématique et normalisé qui est employé pour examiner les produits livrables prévus au mandat de conception. |
2.62 Afin de soutenir les efforts pangouvernementaux visant à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à faire progresser l’objectif 9 des Objectifs de développement durable des Nations Unies et les objectifs établis dans la Stratégie fédérale de développement durable 2022 à 2026 d’ici 2030, Infrastructure Canada devrait intégrer des considérations relatives à la réduction du carbone intrinsèque dans le plus de programmes de financement possible. |
Réponse d’Infrastructure Canada — Recommandation acceptée. lnfrastructure Canada a inclus dans certains programmes des considérations relatives à la divulgation et à la réduction du carbone intrinsèque, et il continuera d’augmenter la prise en compte du carbone intrinsèque dans ses projets d’infrastructure grâce à ses futurs programmes de financement des infrastructures. Conformément aux meilleures pratiques, le Ministère mettra à l’essai les exigences relatives au carbone intrinsèque dans certains programmes tout en validant la disponibilité et le coût de ces produits sur le marché ainsi que la solidité des données à l’appui (c’est‑à‑direc.-à-d. les déclarations environnementales des produits) afin de s’assurer que l’application des exigences relatives à la réduction du carbone intrinsèque est raisonnable. |