Déclaration d’ouverture au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles
Rapports 1 à 5 de 2024 du commissaire à l’environnement et au développement durable
Le 10 octobre 2024
Jerry V. DeMarco
Commissaire à l’environnement et au développement durable
Monsieur le Président, je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour parler des cinq rapports d’audit de performance qui ont été déposés au Parlement en avril dernier. Je tiens d’abord à reconnaître que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Ce territoire accueille de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et je reconnais et apprécie également leurs contributions. Je suis accompagné de Kimberley Leach, Markirit Armutlu, Nicholas Swales, Susan Gomez et Nicolas Blouin, qui étaient responsables des audits.
Notre premier rapport porte sur l’initiative zéro déchet de plastique. Nous avons constaté que le gouvernement fédéral ne savait pas si ses activités de réduction suffiraient à éliminer tous les déchets de plastique d’ici 2030.
Malgré l’emploi du mot « zéro » déchet de plastique dans le nom de l’initiative, les cibles sont axées sur la réduction des déchets de plastique. Elles ne sont pas rapportées au but final de parvenir à zéro déchet de plastique. Il s’agit d’une distinction importante qui doit être reflétée dans les rapports sur l’initiative afin que la population canadienne et les parlementaires puissent comprendre les progrès réalisés vers l’élimination des déchets de plastique.
La bonne nouvelle, c’est que nous avons constaté que les activités de réduction des déchets découlant de l’initiative produisent de bons résultats et concordent étroitement avec les priorités du Canada. Par exemple, Pêches et Océans Canada avait financé 67 projets visant à retirer des eaux des engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés.
Toutefois, les organisations n’avaient pas l’information nécessaire pour pouvoir montrer comment leurs efforts contribuent à atteindre l’objectif pancanadien. Par exemple, il y a un délai de 3 ans dans la publication des données de Statistique Canada sur les déchets de plastique rejetés dans l’environnement.
Pour réduire la pollution par les plastiques, le gouvernement fédéral doit collaborer avec de nombreuses parties, dont les provinces, les territoires, les municipalités et le secteur privé. Avec autant de partenaires, il est particulièrement important de disposer de systèmes de suivi rigoureux.
Notre prochain audit a examiné les sites contaminés dans le nord du Canada. Ces sites continuent à poser des risques importants pour la santé et l’environnement ainsi que sur le plan financier. Nous avons constaté que Transports Canada et Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada, qui gèrent bon nombre de ces sites, avaient respecté le Plan d’action pour les sites contaminés fédéraux. Toutefois, cela n’avait pas suffi à atteindre les objectifs de réduction des risques pour la santé et l’environnement et financiers associés à ces sites.
Les coûts globaux du Canada pour les sites contaminés connus a augmenté depuis le lancement du Plan d’action en 2005, passant de 2,9 milliards à 10,1 milliards de dollars. Si 11 % de ces sites se trouvent dans le Nord, ils représentent plus de 60 % des coûts estimatifs du Canada lié à l’assainissement de sites contaminés. Il s’agit d’un fardeau financier énorme pour les contribuables et d’un échec dans la mise en œuvre du principe du pollueur‑payeur, puisque de nombreux sites du secteur privé ont dû être pris en charge par le gouvernement fédéral.
Après 20 ans, il reste encore beaucoup à faire pour réduire les coûts associés aux sites contaminés et atténuer les risques pour l’environnement et la santé humaine dans l’intérêt des générations actuelles et futures. Le gouvernement doit prendre d’urgence des mesures pour favoriser les avantages socioéconomiques, notamment les occasions d’emploi, et soutenir la réconciliation avec les peuples autochtones, dont les terres sont souvent touchées par les sites contaminés.
Je vais passer maintenant aux 3 derniers rapports, qui portent sur des mesures de lutte contre les changements climatiques. Nos récents rapports ont examiné les 2 plus grands secteurs émetteurs. Cette année, nous avons examiné d’autres grandes sources d’émissions, à savoir les matériaux de construction, la les industries manufacturières et l’agriculture. Dans tous ces audits, nous avons constaté de lents progrès ainsi que l’absence d’approches à long terme pour réduire les émissions. Ces constats ne diminuent toutefois pas le potentiel que présentent ces mesures pour aider le Canada à atteindre la carboneutralité, à condition qu’elles soient conçues et mises en œuvre de manière plus efficace.
Notre audit de l’écologisation des matériaux de construction dans les infrastructures publiques a révélé que le passage aux matériaux de construction à faible teneur en carbone avait été trop lent compte tenu de l’urgence de la crise des changements climatiques.
Le gouvernement fédéral a exprimé pour la première fois en 2006 son désir d’orienter les marchés vers des biens et services à plus faible empreinte carbone. Pourtant, il a mis plus de 10 ans pour envisager le recours à des matériaux de construction à faible teneur en carbone. C’est seulement à la fin de 2022 que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a instauré la Norme sur le carbone intrinsèque en construction. Pour l’instant, la norme s’applique uniquement au béton prêt à l’emploi.
Nous avons aussi constaté que Services publics et Approvisionnement Canada n’avait pas terminé d’intégrer les exigences de la Norme à son processus d’approvisionnement en infrastructures. Parallèlement, Infrastructure Canada n’a intégré les considérations liées à la réduction de la teneur en carbone des matériaux de construction que de façon limitée à ses programmes de financement. L’enjeu est important parce que les émissions associées à la construction et aux matériaux de construction représentent 11 % des émissions totales au Canada.
La lenteur de ces changements est préoccupante, car la production d’acier émet généralement une grande quantité de gaz à effet de serre, et l’acier est largement utilisé dans les grands projets de construction. Afin d’accroître les chances du Canada d’atteindre ses engagements climatiques pour 2030 et 2050, le gouvernement fédéral doit promouvoir plus activement le recours à des matériaux de construction à faible teneur en carbone dans les infrastructures publiques.
Notre prochain audit a porté sur l’initiative Accélérateur net zéro, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en incitant les industries canadiennes à décarboner leurs activités.
Nous avons constaté qu’Innovation, Sciences et Développement économique Canada n’avait pas réussi à attirer les plus grands émetteurs industriels du pays. Sur les 55 entreprises ayant produit le plus d’émissions, seulement 15 avaient présenté une demande de financement en vertu de l’initiative. Au moment de notre audit, seulement 2 d’entre elles avaient signé un accord de contribution. Le long et complexe processus de demande, qui exige en moyenne 407 heures, n’a sans doute pas aidé le Ministère à attirer un plus grand nombre de demandeurs.
Nous avons aussi constaté que le Ministère ne savait pas toujours combien de réductions d’émissions la plupart des entreprises participant à l’initiative réaliseraient, ou si le financement accordé entraînerait une réduction d’émissions.
Étonnamment, il n’existe pas de politique industrielle globale de décarbonisation qui donnerait à Innovation, Sciences et Développement économique Canada une meilleure idée des industries qui ont le plus grand besoin de fonds pour réduire leurs émissions. Je m’inquiète de ce que le Ministère prévoit faire pour remédier aux importantes lacunes que nous avons relevées dans notre audit, étant donné les réponses vagues qu’il a données à nos recommandations.
Notre dernier audit a porté sur l’agriculture et l’atténuation des changements climatiques. Nous avons constaté qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada n’avait pas élaboré de stratégie pour établir comment le secteur de l’agriculture devait contribuer aux objectifs climatiques du Canada pour 2030 et 2050, malgré qu’une telle stratégie a été demandée en 2020.
En 2021, le Ministère a lancé 3 programmes clés visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, à cause des retards touchant l’approbation du financement, les bénéficiaires n’ont pas pu s’en prévaloir pendant une saison de croissance. Au moment de notre audit, le Ministère avait atteint moins de 2 % de son objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030. Agriculture et Agroalimentaire Canada devra veiller à ce que toutes les réductions d’émissions de gaz à effet de serre attendues pour 2030 soient réalisées au cours des saisons de croissance restantes.
Nous avons aussi constaté qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada n’avait pas encore défini de cibles de rendement pour 2 des 3 programmes, ce qui rend difficile l’évaluation des progrès. La contribution d’Agriculture et Agroalimentaire Canada à la réduction des émissions de gaz à effet de serre est indispensable dans la lutte contre les changements climatiques, d’où l’importance de fixer des objectifs et de surveiller les résultats.
Malgré les résultats limités rapportés jusqu’à présent, toutes ces initiatives climatiques pourraient, si elles sont améliorées, contribuer à l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 et à la réalisation de changements importants pour les générations actuelles et futures. Compte tenu de la crise climatique actuelle et des difficultés répétées du gouvernement fédéral à opérer de véritables réductions d’émissions, une approche stratégique, cohérente et axée sur les résultats est essentielle pour que le Canada joue son rôle dans la lutte mondiale contre les changements climatiques.
Monsieur le Président, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serions heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.