Rapports de l’automne 2016 du vérificateur général du Canada
Déclaration d’ouverture au Comité permanent des comptes publics
Rapports de l’automne 2016 du vérificateur général du Canada
Le 1er décembre 2016
Michael Ferguson, CPA, CA
FCA (Nouveau-Brunswick)
Vérificateur général du Canada
Monsieur le Président, j’ai le plaisir de vous présenter mes rapports de l’automne 2016, qui ont été déposés en Chambre mardi dernier. Les rapports réunissent les constatations de sept audits et de trois examens spéciaux. Je suis accompagné de Gordon Stock, Richard Domingue, Carol McCalla, et Jean Goulet.
Bon nombre des questions que nous soulevons aujourd’hui ne sont pas nouvelles. Nous voyons des programmes gouvernementaux qui ne sont pas conçus pour aider les personnes qui y ont recours, des programmes où l’accent est sur ce que font les fonctionnaires et non sur les services livrés aux citoyens, des programmes où les délais sont longs, où les données sont incomplètes, et où les rapports publics ne donnent pas vraiment une idée claire de ce que les ministères ont accompli. Pour les citoyens, ces problèmes récurrents sont la source d’une frustration croissante.
Rapport 1 — Le plan d’action Par-delà la frontière
Parlons d’abord de notre audit du plan d’action Par-delà la frontière. Dans cet audit, nous avons constaté que certains projets avaient donné peu de valeur, et que des obstacles pourraient limiter les retombées de certains autres.
Par exemple, plusieurs ministères ont consacré presque 80 millions de dollars à un système qui permet aux importateurs de présenter par voie électronique des renseignements requis pour les douanes. Ce système est en place depuis plus d’un an, et il sert à traiter moins qu’un pour cent des envois qui entrent au Canada.
De même, l’Agence des services frontaliers du Canada a consacré 53 millions de dollars à un système pour consigner des renseignements sur les personnes qui arrivent au Canada et qui quittent le pays. Toutefois, l’Agence n’est pas en mesure d’exploiter pleinement ce système parce que la loi ne lui permet pas de partager avec les États-Unis les renseignements qu’elle recueille.
Les gouvernements du Canada et des États-Unis ont lancé le plan d’action en 2011 pour améliorer la sécurité aux frontières et accélérer les déplacements et le commerce. Le plan était ambitieux : il prévoyait 34 projets sur un horizon initial de trois ans.
Nous avons constaté que les organisations chargées d’exécuter le plan d’action pouvaient montrer que les quelque 600 millions de dollars qu’elles avaient dépensés avaient permis de réaliser certains progrès. Par exemple, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien utilisait une nouvelle technologie pour contrôler les bagages dans sept aéroports canadiens. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire avant que le gouvernement ne retire une valeur du plus de un milliard de dollars qui a été consacré à ce plan d’action.
Rapport 2 — Les oppositions en matière d’impôt sur le revenu
Passons maintenant à notre audit des oppositions liées à l’impôt sur le revenu. La Loi de l’impôt sur le revenu est complexe, et les contribuables ne sont pas toujours d’accord avec l’interprétation qu’en fait l’Agence du revenu du Canada.
Notre audit a révélé que l’Agence prenait trop longtemps pour décider si les oppositions des contribuables étaient valables. Par exemple, l’Agence a mis plus de cinq ans pour régler 79 000 cas d’une valeur de près de quatre milliards de dollars.
Nous avons constaté que l’Agence se donne environ cinq mois pour décider des dossiers simples. Pour les dossiers moyennement complexes, elle informe les contribuables qu’ils peuvent s’attendre à un délai qui peut aller jusqu’à un an avant même qu’un agent des appels ne communique avec eux.
Les objectifs de rendement de l’Agence ne tenaient pas compte des temps d’attente du point de vue du contribuable. Par exemple, l’Agence ne comptait pas les jours pendant lesquels un dossier était en suspens, en attendant qu’il soit confié à un agent des appels.
Nous avons constaté que l’Agence avait tranché 65 pour 100 des oppositions, entièrement ou en partie, en faveur du contribuable. Il était rare qu’elle se serve de ces résultats pour améliorer ses décisions futures.
Rapport 3 — La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté
Dans notre audit du Service correctionnel du Canada, nous avons constaté qu’à mesure que le nombre de délinquants autochtones augmente, le Service correctionnel n’est pas en mesure de leur fournir les programmes correctionnels dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin.
Plus des trois quarts des délinquants autochtones ont été incarcérés dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale. Une fois dans ces établissements, la plupart d’entre eux n’ont pu avoir accès aux programmes dont ils avaient besoin avant la première date à laquelle ils étaient admissibles à la libération conditionnelle. Par conséquent, le Service correctionnel prépare moins souvent les détenus autochtones pour une audience de libération conditionnelle, par rapport aux détenus non autochtones.
Nous avons constaté que les deux tiers des détenus autochtones libérés n’avaient jamais été libérés sous condition. La moitié d’entre eux ont été libérés d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale directement dans la collectivité. Cela veut dire que ces détenus ont eu moins de temps pour bénéficier d’un retour progressif et structuré dans la collectivité.
Les délinquants autochtones sont dans un cercle vicieux. La plupart n’ont pas accès en temps opportun aux programmes dont ils ont besoin et, parce qu’ils n’ont pas terminé un programme correctionnel, ils ne sont pas mis en liberté conditionnelle aussi tôt qu’ils pourraient l’être.
Rapport 6 — Les revendications particulières des Premières Nations
Passons maintenant à une autre question qui intéresse les Premières Nations. En 2007, le gouvernement fédéral a adopté un nouveau plan d’action, appelé La Justice, enfin, pour tenter de régler les revendications particulières de longue date. Ces revendications portent souvent sur l’administration des terres de réserve.
Avec ce nouveau plan, le gouvernement voulait régler les revendications particulières de façon juste et transparente, de préférence par voie de négociations. Il voulait aussi régler les revendications plus rapidement, par souci de justice pour les Premières Nations et de certitude pour le gouvernement, l’industrie et les Canadiens et Canadiennes. Toutefois, certaines réformes ont créé des obstacles qui ont empêché les Premières Nations et le gouvernement fédéral de régler les revendications.
Par exemple, Affaires autochtones et du Nord Canada a modifié ses pratiques de négociation sans consulter les Premières Nations. Le Ministère a également sabré le financement accordé aux Premières Nations pour faire des recherches et négocier leurs revendications. Ces changements ont rendu plus difficile le règlement des revendications. Le Ministère était conscient de ces obstacles, mais il n’a pas apporté de rectificatifs.
Le Ministère a déclaré publiquement que les réformes de 2007 avaient été couronnées de succès. Cependant, à notre avis, la plupart des revendications invoquées pour appuyer cette affirmation avaient été réglées ou étaient proches de l’être avant la mise en œuvre de La Justice, enfin. En fait, depuis 2008, le nombre de dossiers qui ont été fermés sans règlement est presque égal au nombre de revendications qui ont été réglées.
Rapport 4 — La surveillance de la sécurité des véhicules automobiles
J’aimerais maintenant aborder notre audit de la sécurité des véhicules automobiles. Transports Canada joue un rôle important dans la sécurité des véhicules automobiles, autant en assurant la surveillance des règlements de sécurité qu’en faisant le suivi des plaintes du public et des rappels de véhicules et en enquêtant sur les défauts présumés.
Cependant, nous avons constaté que Transports Canada n’a pas tenu à jour les règlements, et le Ministère accuse du retard sur les technologies changeantes. Par exemple, les règlements interdisent les phares intelligents assistés par logiciel, mais des véhicules semi-autonomes circulent sur les routes canadiennes alors que les logiciels qui les contrôlent ne sont pas encore réglementés. Transports Canada peut prendre jusqu’à dix ans pour mettre à jour les règlements.
Étant donné l’approche prise par Transports Canada pour établir les normes visant les véhicules, les Canadiens et Canadiennes pourraient être privés de certaines technologies de sécurité routière qui existent ailleurs.
Nous avons aussi constaté que Transports Canada ne consultait généralement que les fabricants au sujet des règlements proposés. Le Ministère ne sollicitait pas de renseignements provenant des enquêtes que les fabricants menaient sur les défauts de sécurité des véhicules.
Rapport 5 — Recrutement et maintien de l’effectif dans les Forces armées canadiennes
Dans le premier de deux audits qui touchent la Défense nationale, nous avons examiné le recrutement et le maintien des effectifs dans les Forces armées canadiennes. Nous avons constaté que les Forces n’avaient pas le bon nombre de membres formés dans certains groupes professionnels pour permettre au Canada de respecter ses engagements militaires nationaux et internationaux.
Il y a quatre ans, il manquait à la Force régulière environ 2 000 membres formés, par rapport au nombre dont elle avait besoin. À la fin de notre audit, nous avons constaté que cet écart était passé à 4 000.
En 2016, il y avait des pénuries importantes dans 21 groupes professionnels militaires, et des taux d’attrition élevés dans 23. La Défense nationale doit comprendre les défis auxquels elle est confrontée pour adapter ses méthodes de recrutement et de maintien en poste selon les groupes professionnels.
Nous avons constaté que le processus de recrutement des Forces armées canadiennes était axé sur les besoins des Forces, et non sur ceux des recrues potentielles. En moyenne, il a fallu 200 jours pour engager une recrue. Dans certains cas, le groupe recruteur a fermé le dossier d’un candidat qui était toujours intéressé à faire carrière dans les Forces. Cela veut donc dire que les Forces armées canadiennes ont perdu des candidats qualifiés.
Ces problèmes sont identiques à ceux que nous avons relevés en 2002 et en 2006. Selon nous, à moins que les Forces armées ne modifient en profondeur leurs méthodes de recrutement, il est peu probable que la Force régulière atteigne son objectif de 68 000 membres d’ici 2018-2019.
Rapport 7 — Le soutien aux opérations et à la maintenance de l’équipement militaire — Défense nationale
Passons maintenant à notre deuxième audit d’un dossier militaire. La Défense nationale compte sur la disponibilité d’équipements en bon état de marche quand elle en a besoin. Le fonctionnement et l’entretien des équipements militaires peuvent coûter plus de deux fois plus cher que l’achat de ces équipements. Si la Défense nationale ne gère pas correctement les coûts de soutien aux opérations et à la maintenance, les équipements pourraient ne pas être disponibles quand il y a un besoin, ou leur durée de vie pourrait être réduite.
Nous avons constaté que lorsque la Défense nationale avait décidé d’acheter des éléments d’équipement majeurs, elle s’était fondée sur des hypothèses de planification qui sous-estimaient les coûts de soutien, surestimaient l’utilisation de l’équipement, et sous-évaluaient le personnel requis pour opérer et entretenir l’équipement. La Défense nationale a donc payé pour des services qu’elle ne pouvait pas utiliser.
De plus, la Défense nationale a supposé que le coût de soutien de l’équipement neuf ne dépasserait pas le coût de soutien de l’équipement qu’elle avait remplacé. Cependant, nous avons constaté que les coûts d’entretien du nouvel avion Hercules dépassaient de 7 000 dollars pour chaque heure de vol les coûts d’entretien de l’avion qu’il avait remplacé.
La Défense nationale doit mieux aligner ses besoins de soutien avec sa planification de l’utilisation des équipements militaires pendant toute leur durée de vie, y compris les besoins en personnel, les coûts d’opération, et les ressources requises pour l’entretien.
Rapports d’examens spéciaux
Je vais passer maintenant passer aux rapports de nos trois examens spéciaux.
Dans le cas de l’Administration de pilotage du Pacifique, nous sommes satisfaits que l’Administration avait bien contrôlé ses ressources et ses activités. Nous avons formulé des recommandations dans sept domaines où nous jugeons que des améliorations sont nécessaires.
Dans le cas du Centre de recherches pour le développement international, nous avons constaté que la capacité du Centre à mener ses activités était menacée par l’insuffisance de membres à son conseil d’administration. Ce problème a persisté pendant au moins trois ans, mais des nominations récentes devraient le pallier.
Quant à l’Administration de pilotage de l’Atlantique, nous avons relevé un certain nombre de problèmes importants, allant de l’absence d’une orientation stratégique à son incapacité à confirmer que ses pilotes et ses équipages satisfaisaient en permanence aux exigences liées aux compétences et à la sécurité.
Pour terminer, je veux revenir sur mes remarques du début, notamment la frustration des citoyens envers les programmes gouvernementaux.
D’une façon ou d’une autre, tout ce que fait le gouvernement vise à servir la population canadienne. À ce titre, les ministères devraient donc « offrir un bon service », dans l’intérêt des Canadiennes et Canadiens, individuellement et collectivement.
Comme je l’ai mentionné, il n’y a rien de nouveau dans les enjeux signalés par ces récents audits. Nous avons déjà vu beaucoup de ces problèmes. Et dans certains cas, ils s’aggravent.
Les ministères mettent souvent trop longtemps à fournir les programmes ou services. C’est le cas de l’Agence du revenu du Canada, lorsqu’elle tranche les oppositions en matière d’impôt.
Les rapports publics laissent à désirer. Ils sont parfois incomplets ou inexacts, comme nous l’avons vu avec les audits du plan d’action Par-delà la frontière ou le règlement des revendications particulières des Premières Nations. Dans d’autres cas, il est clair que les ministères ne sont pas toujours en mesure de montrer la valeur rapportée par l’argent qu’ils ont dépensé, comme pour les contrats de soutien de l’équipement militaire de la Défense nationale ou la mise en œuvre des projets découlant du plan d’action Par-delà la frontière.
Les ministères doivent comprendre que leurs services doivent être construits autour des citoyens, et non des processus. Lorsqu’ils travaillent à la mise en œuvre de nos recommandations, je les encourage à prendre du recul et à réfléchir à ce qu’ils peuvent faire pour offrir des services qui fonctionnent pour la population canadienne.
Monsieur le Président, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serions heureux de répondre à vos questions.